André Breton disait  « Je vous souhaite d’être follement aimé » ; moi je vous souhaite d’être encore surpris par la vie et de découvrir ou redécouvrir des paysages sonores insoupçonnés.

Après Marquis de Sade, c’est au tour des Tétines noires de se reformer après une pause de 22 ans (!) pour la réédition de leurs 3 albums : fauvisme et pense bête, Brouettes et 12 têtes mortes à paraître à l’automne 2018.

Mais avant de développer : back to the futur !

Nous sommes en France en 1980, à Cherbourg, François Mitterrand n’est pas encore au pouvoir, c’est la rentrée scolaire, la sixième, la grande école. William rentre dans une classe, tous les élèves ne sont pas encore arrivés. Dans un coin, un garçon, seul, assis à une table et William se dit : « Il a la gueule du mec que j’aime bien ». Il s’assoit à côté de lui, mais ils ne se parlent pas. La timidité. A cet instant précis, il ne sait pas encore que son destin est lancé.

Ce même voisin, quelques semaines plus tard, arrivera, rouge à lèvres, cheveux très courts couleur auburn, épingles à nourrice partout. Ce très jeune homme de onze ans, c’est Emmanuel Hubaut. Son père, c’est Joël Hubaut, professeur aux Beaux-Arts de Caen, plasticien et performer. Les chiens ne font pas des chats. C’est ce même Joël qui réalisera entre autres bien plus tard leurs deux premières pochettes d’albums mais aussi celle des Little Rabbits  « La grande musique » toute en rose…

A onze ans, Emmanuel commande pour Noël une guitare qu’il trouvera au pied du sapin « La première fois que j’ai l’ai touché  je pensais qu’il suffisait de mettre ma main sur les cordes, et que c’était le morceau entier qui déboulait, que j’allais devenir Elvis, Gene Vincent… Il a fallu bosser ! » Avant déjà, il avait monté un groupe à 3, c’était du playback ; son père lui avait construit une guitare en bois, un pied de micro.  Ils faisaient même des chorégraphies. Il avait déjà le sens du show !

A onze ans Emmanuel est rempli de références culturelles, a accompagné et participé avec son père à des performances et pour William «  le rencontrer a été un changement radical dans ma vie ; culturellement, il m’a éduqué, élevé. Et puis j’ai toujours aspiré à la liberté, être le plus libre possible.

En 1983, quand nous avons monté Les Tétines Noires, au début je tapais sur des cartons, puis j’ai acheté une caisse claire, j’avais décidé que j’étais le batteur, des copains nous accompagnaient, un à la basse (notamment Christian Quermalet qui montera plus tard The Married Monk), puis quand on s’est retrouvés tout seuls avec Emmanuel, j’ai décidé de me consacrer aux machines, aux claviers, j’ai acheté un ordinateur. »

Changement de nom : Emmanuel devient le Comte d’Eldorado (personnage échappé D’Aguirre, La colère de dieu de Werner Herzog) et William devient Goliam.  C’est sur le label Boucherie Productions de François Hadji-Lazarro, leader des Garçons bouchers, que sortira le premier album « Fauvisme et pense bête ».  Pour Henri Matisse « Le fauvisme est venu du fait qu’avec des couleurs pures, nous obtenions des réactions plus fortes. »  

A l’écoute de ce disque, on pourrait penser à Ange mais c’est une erreur, c’est plutôt du côté des Irlandais de Virgin Prunes qu’il faut chercher, même sens du grotesque, de la tension dramatique, du son froid et de la fureur.

Sur scène, c’est la monstrueuse parade. L’album commence par ces mots : «  Par ici, par ici mesdames et messieurs, venez voir le cirque humain ». L’âme du film Freaks du réalisateur Tod Browning règne. Vu en mars 1990, dans le vieux Mans au Centre Jacques Prévert, le clavier de Goliam était posé sur une table à repasser, dans un coin de la scène, une gamelle pour la ritournelle O dogo (Goliam se transformait pour l’occasion en chien) du sucre était jeté au public, des plumes volaient, des jouets d’enfants servaient d’instruments comme des tuyaux plastiques…

Le Comte d’Eldorado peut se muer aussi bien en prince Mychkine dans L’idiot de Dostoïevski naïf et enfantin, qu’en sorcière ou en Lady Macbeth de Shakespeare, qu’en Joker de Batman égalant l’incroyable prestation de l’acteur Heath Ledger.

Le deuxième album « Brouette » en 1991, enfoncera le clou, ambiance du mouvement des Surréalistes à travers les textes, l’esprit de DADA revendiqué, si bien que François Hadji-Lazarro dira à sa première écoute : mais on va jamais en vendre !!!!

La brouette étant considérée comme le prolongement du corps humain où l’on amasse objets, souvenirs…

Ils participeront aussi à l’album de reprise Piaf/Fréhel. Daho emmènera Mon manège à moi de Piaf dans un tourbillon, les Tétines Noires vers Fréhel plus sombre, de guingois,  dramatique et oppressant sur Pleure.

Pour le dernier album et donc troisième à ce jour, 12 têtes mortes, changement de label. 12 pochettes différentes réalisées par 12 artistes contemporains, de Ben à Fabrice Hybert. Un album plus industriel, tribal, plus proche de Young Gods et Nine Inch Nails.  L’époque est sombre, le son se durcit, la fantaisie s’en est allée… l’esprit d’Antonin Artaud et de son Théâtre de la Cruauté recouvre l’ensemble, ambiance SM. Sur scène, le pied de micro est remplacé par le pied de micro humain avec le performer Made in Eric.

En 1996, William va devenir papa et décide de ranger le costume de Goliam. Emmanuel continuera avec LTNO, puis Emmanuel 5, puis Dead Sexy Inc (avec Stéphane Hervé, avec qui il s’apprête d’ailleurs à sortir un nouvel EP  Tête à claque ) …

C’est finalement en automne 2017, alors qu’Emmanuel est sur Paris, qu’on lui parle et reparle des Tétines Noires  (en même temps il suffit d’avoir vu un seul concert pour s’en souvenir à jamais)… Synchronisme, un label veut ressortir les 3 albums et William est ok pour une tournée. Viennent s’ajouter très vite deux anciens membres du groupe, le bassiste Entonie et  le batteur Nicolas Barrot. 

La première date a lieu le samedi 25 mai, au 106 à Rouen. Alors est-ce que le temps détruit tout comme le laissait penser le cinéaste Gaspard Noé dans Irréversible ?

Absolument pas ! Après 22 ans d’absence et à quelques minutes de relancer la machine, difficile d’imaginer ces garçons dans les loges, calmes, sereins et bienveillants avant de plonger dans un torrent de fureur, de folie, d’absurdité et d’ironie. Ils ont rejoué les morceaux plutôt tel quel pour retrouver l’équilibre exact.

La joie des quatre musiciens faisait plaisir à voir et le jeu de jambes et de scène du Comte d’Eldorado, lui qui enfant, se rêvait Elvis Presley, est impeccable. A lui tout seul, il englobe Marilyn Manson, Iggy Pop, Klaus Kinski et Nick Cave, c’est vous dire… Avec le recul, on s’aperçoit aussi davantage de la palette musicale qu’ils possèdent, sachant passer d’un univers à l’autre : une ballade, un fracassement sonore et un délire théâtral comme le morceau qui a ouvert le bal Petites brouettes sans allumettes.

Parallèlement à ses concerts avec les Tétines Noires, Emmanuel Hubaut retrouve son père sur le projet Pest Modern et l’album Rock’n’roll Station. Ils seront présents le 23 juin pour un hommage au regretté Alan Vega à Paris à l’Entrepôt où Christophe  sera présent !

Vivre un concert des Tétines Noires, c’est se retrouver comme Bill Pullman, le héros du film de David Lynch dans Lost Highway : l’esprit en cavale, la nuit, en voiture, à tombeau ouvert, les phares éclairant la ligne discontinue vers des contrées inconnues…

A vous de prendre la route !

SZAMANKA

 

The comeback (Éléonor) Tour 2018 :

1er juin à Paris – FGO Barbara : COMPLET!!!

le 8 juin au What the Fest à Montpellier

le 16 juin à Gare à la Rochette (Vendôme)

le 29 juin à l’Aéronef

le 27 juillet au Figuière-Festival à La Londe-les-Maures (Var).

Sinon, ce sera à la rentrée pour la suite de cette tournée reformation.

 

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