Léonie Pernet a sorti chez InFiné le 02/09/2018 son très attendu premier album, Crave. Son écoute nous a scotché et déclenché une forte envie de le voir incarné en live et de rencontrer « the woman behind the magic ».

Crave est un album profond et complet qui ne transige pas. Polymorphe dans son expression, tant sur le plan du chant qu’au plan rythmique. Son ouverture par African Melancholia laisse entrevoir l’ambiance introspective et l’engagement personnel qui baigne l’album dans son entier. Au travers des 12 titres qui le composent, chantés en français, anglais et arabe, se dégage une puissante force d’évocation.

Pour saisir le travail de Léonie Pernet, il faut prendre du champ : au début de l’adolescence une formation classique aux percussions au conservatoire et l’apprentissage du piano, et déjà des ébauches de compositions. Il semble que l’idée d’un album a germé très tôt. Patiemment Léonie Pernet a thésaurisé le matériel qui lui servira plus tard. Parallèlement à la musique, c’est de littérature et de poésie dont elle se nourrit, emmenant avec elle certains mots, certains vers importants. C’est d’ailleurs en composant de la musique pour des lectures qu’elle gagne ses premiers cachets. Par la suite, elle accompagne Yuksek à la batterie sur scène, propose des DJ mixes très remarqués fusionnant poésie et politique, participe à la BO des films Bébé Tigre et Marvin et plus récemment collabore notamment avec Scratch Massive. Au milieu de ces différents projets, Two of Us son premier EP (2014), nous avait déjà mis l’eau à la bouche.

Léonie Pernet a réalisé seule son premier album. C’était une nécessité : « je n’aurais pas pu le faire autrement qu’en étant aussi proche de moi…». A partir de pages blanches et composant chez elle dans son studio, jouant de tous les instruments. « La pop est un sport collectif et moi je ne viens pas de la pop ».

On est bluffé par la profondeur de champ des morceaux s’enchaînant comme autant de vortex ouvrant sur des dimensions et des possibles inattendus. Des montées en puissance percutantes et obsédantes (Crave, Nancy et Two of us) alternent avec des mélodies lancinantes (African Melancholia, Father), envoutantes (Story). On est ainsi emmené par des morceaux très différents, dans lesquels Léonie Pernet s’autorise à exprimer ses influences multiples (musique électronique, rock, musique classique), qu’elle creuse en profondeur, sans rester dans l’allusion facile. Sa force est de réussir à nous laisser aller à la traversée de son univers multi dimensionnel sans jamais nous y perdre. Le clair obscur est permanent, mais jamais menaçant. Les mots, si importants, habillent Rose, oraison traversée des vers de François de Malherbe. Plus loin dans India Song, on retrouve Marguerite Duras. Dans le titre de l’album même, les mots toujours, cette fois de Sarah Kane, avec sa pièce Crave que Léonie Pernet a découvert il y a quelques années déjà, et qu’elle a précieusement conservé.

 

« Je me souviens que le mot et la pièce, m’avaient vachement interpellée. Je m’étais retrouvée dans ce mot, dans sa rondeur, le fond, la forme, le son, et quand je commençais des chansons, c’était un mot qui revenait vachement. A moment dans la maquette il y avait le mot crave partout (rires) et finalement j’ai élu le morceau qu’on connait (rires). Et donc voilà, je me reconnais dedans et puis c’est un thème qui me définit. A tout point de vue. Ça clôt une longue période de ma vie, franchement la plus longue jusqu’à maintenant. Et il me définit bien et il définit bien beaucoup de choses. Alors on peut chausser plusieurs lunettes pour voir le monde, plusieurs angles, plusieurs axes, et souvent en philosophie on parle du désir, du désir, je trouve que celui-ci est un bon mot pour parler de ce qui nous rassemble aussi : le manque. »

 

Si la longue phase de composition s’est faite en autonomie, captant sur le vif ici et là quelques instantanés de spontanéité (Butterfly), il y eut au final quelques collaborations bien inspirées. C’est le cas en particulier sur les cordes du titre Crave et sur le mixage de l’album réalisé par Stéphane « Alf » Briat « qui a homogénéisé ça… il a fait un beau travail là-dessus, important, avec une vue d’ensemble ».

Le résultat est époustouflant. Crave est un élixir à diffusion lente, bien au delà de l’écoute.

 

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Le public de l’espace Paul B à Massy qui accueillait ce soir-là Léonie Pernet en première partie de Jeanne Added a découvert les avalanches sonores et les sensations éclaires de Crave.

La scène, « moment très attendu », amplifie la puissance de Léonie Pernet et de Crave. Elle nous a confié se réjouir parfois de ces moments d’interprétation dès la phase d’écriture. C’est donc tout naturellement qu’on la sent pleinement dans son élément sur scène. Elle est accompagnée d’Hanaa Ouassim qui évolue au chant, aux claviers, aux percussions et en particulier au Riqq (tambourin oriental). Chacune de son côté, qui derrière batterie ou claviers et derbouka, et pourtant toutes les deux ensemble, reliées. Comme dans une bulle que l’on perçoit extensible et perméable, Léonie Pernet, en mouvement, tantôt au clavier, tantôt aux percussions, debout, impressionnante, invite le public à la rejoindre dans son univers.

Ce dernier, happé, lui répond par une écoute subjuguée (Crave et son final dans les cîmes) et un plaisir non dissimulé. Il est suspendu lorsque Hanaa Ouassim interprète Auaati : la puissance de ce chant oriental invoquant la transe, touchant en plein coeur.

Défilent African Melancholia, Mister A, Two of us, Nancy, … pour atteindre le final avec Butterfly et sa clarté entêtante.

Léonie Pernet, multi instrumentiste, est dans son élément sous le regard complice et précieux d’Hanaa Ouassim. On a pu approcher la beauté et les nuances de lumière qui constituent Crave et à la fin de ce live, on se dit que ce qu’on a entendu est prodigieux.

Veyrenotes et Wunderbear

© photo de une : Chillokubo, photos du live : Veyrenotes.

Remerciements chaleureux à Magali Le Ny de l’espace Paul B de Massy et bien sûr à Léonie Pernet.

La liste des concerts de Léonie Pernet est à retrouver ici ; elle sera notamment à La Gaîté Lyrique le 25/01/19

 

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