17 Juillet 2020.

Un papillon jaune se pose sur la table.

Ian Curtis boit un café serré, il est assis sur sa terrasse, dans sa maison. Il fait beau et chaud, l’air est sec, le ciel sans nuage. C’est dans un coin du Lot, en France, dans une belle bâtisse en pierres du XVIII ème siècle entièrement refaite. Respect de l’histoire en façade et modernité à l’intérieur ; il y a fait installer un studio 100% digital, pour finaliser le mix de son album 100% poétique et feelgood à venir… mais patience et surprises pour les fans. La tournée 2021 est quasi sold out. Europe, USA, Chili, Argentine, Japon. La dernière date à Manchester, of course.

Ian Curtis lit avec un petit sourire les articles des tabloïds musicaux de sa vieille Angleterre brexitée qui évoque le futur opus de Robert Smith comme étant « très sombre et le plus triste du groupe ». No way, murmure-t-il, the dark side remains where it should be : far away…

Ian Curtis, œil bleu et teint hâlé, lit la presse, regarde avec attention la revue de presse des articles et posts qui commémorent le quarantième anniversaire du Closer de Joy Division. Remaster, 33 tours en édition limitée, hommages forts, souvenirs puissants.

Le papillon jaune s’envole.

Ian Curtis ferme les yeux et se souvient de sa tentative se suicide ratée, en mai 1980, juste avant cette tournée nord-américaine qui fut un tremplin magique pour le groupe. Heureusement, Peter Hook était venu le chercher après le dîner, pour aller au pub what else, et avait frappé à la porte de son appartement comme un sourd (il avait déjà absorbé quelques pintes de lager et son humeur était joyeuse). Ian était à ce moment précis parcouru d’idées noires, et commençait à imaginer qu’il allait se… mais ceci n’était pas arrivé.

Isolation, plus jamais ça.

Ian Curtis grimace en repensant aux années difficiles qui suivirent cet été 1980. Certes, Closer fut acclamé, se vendit au-delà des plus folles espérances du label Factory et le groupe fut propulsé sous le feu de la notoriété. Mais il revoit son divorce douloureux juste après, suivi par sa rapide rupture avec sa maîtresse de cœur belge, Annik…  Il était à cran tout le temps, irascible nuit et jour, les crises d’épilepsie devenaient fréquentes, il avait perdu la flamme de l’inspiration et n’avait plus envie de passer à Top Of the Pops, ni de se voir en Une du NME. Boire, attraper des pilules par poignées, dormir, lire, vomir, partir sans donner de nouvelles et reparaître deux semaines plus tard, avec le teint blafard et des dettes à éponger.

What are you gonna do when the novelty is gone ?

Ian Curtis se dit « forty f*** years, already ! », il songe à cette période creuse, acide, chimique des années 80. Le groupe qui se sépare en deux en mai 1983… A gauche : Joy Order avec Stephen, Gillian et Barney d’un côté. A droite : New Division, juste Peter, des machines et lui.

Leur premier EP en 1985, raté, brouillon, taillé en pièces par cette presse musicale qui l’encensait auparavant. Traversée du désert.

Le départ pour la Jamaïque en 1987, la vie au soleil sans rien faire et puis l’album surprise « Rub Rub Dub Dub » en 1989. Avec Sly Dunbar, Robbie Shakespeare en haute couture sonore avec un Peter Hook toujours d’attaque. Deux bassistes de compétition, ses textes d’une ironie folle, des mélodies imparables. Bim. Number 1 dans les charts, 14 mois de ventes au top sur trois continents, des remixes et même la bande sonore d’une publicité pour Guinness (lui qui ne buvait plus une seule goutte d’alcool désormais).

Ensuite, l’EP « London (not) Falling » avec Nick Cave et Mick Jones (1990), le double live « Joy Division in Dub 4ever » (1992), l’arrivée en fanfare de Martin Gore qui avait jeté l’éponge chez Depeche Mode et leur nouveau supergroupe : Armageddon Chords.

Trois albums en quatre ans. Succès, pinacle, respect, Hall Of Fame. Excellence démocratique in love avec Sa Majesté l’Excellence Artistique. L’exigence et le style jouée dans les stades. Le branché exigeant qui tend la main à l’homme de la rue. Les meilleures ventes sans la compromission servile à l’écoute sans âme. Le hit-parade qui embrasse la Tate Gallery. What else ?

Et encore des albums et encore des tournées, il ne compte plus. Peter s’est installé en France comme lui, il possède une belle ferme pas très loin, dans l’Aveyron. Martin envoie et reçoit les fichiers de la Barbade, mixe et remixe sans jamais se lasser.

Ah oui, ce concert l’an passé à Conques, cela avait de la gueule, surtout que les autres (Gilian, Stephen et Barney) sont venus jouer avec eux l’intégralité de Closer et que la hache de guerre est enterrée pour de bon. « On est trop vieux pour ces conneries d’avocat » avaient-ils tous conclu à 5 heures du matin, alors que le soleil se levait et que le fils de Keith Moon roulait des spliffs géants pour tout le monde.

Ian Curtis n’oublie pas son mariage passionnel (mais trop court, quoiqu’un peu violent) avec Debbie Harry, ses deux fils avec Chrissie Hynde et la reconnaissance de la fille qu’il eut avec la belle Kristin Hersh.

« Love ne will pas tear me apart, mais les pensions alimentaires peut-être » déclare-t-il à un autre papillon jaune qui vient se poser sur le bord de sa tasse à café. Il soupire. Son nouveau traitement lui va bien, la bouche sèche parfois, des maux de tête très supportables, mais côté humeur c’est rose clair -ou rose foncé au pire-.

Ian Curtis sourit, il est heureux. Closer a quarante ans, lui soixante-quatre.

« C’était quand même des sacrées putain de belles chansons se dit-il. Mais waow je ne rigolais pas, mais pas du tout, non ? »

Le papillon jaune s’est envolé, Ian Curtis hoche la tête, il a une idée, il descend dans son studio et envoie un message What’s App à Peter.

Tiens, si j’appelais cette chanson « Joy Transmission » ?

Jérôme « if only » V.

 

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