L’avantage d’avoir des amis plein de talent, c’est d’être persuadé qu’un jour, ce talent éclate à la vue de tous pour votre plus grande fierté.

Serons-nous alors assez objectifs pour analyser, ledit talent et l’apprécier à sa juste valeur ?

Quant au détour d’une conversation anodine, Odéric Delachenal l’auteur de ce premier livre « Fissuré », m’envoie son premier manuscrit, un récit autobiographique, en tant que coopérant dans une ONG à Haïti, je m’interroge alors ; persuadé que ces talents de musicien accompli devaient jaillir à la face du monde, il serait donc devenu, en plus, écrivain.

C’est avec étonnement que j’accepte de lire sa version non définitive, plus de 10 ans après son retour des décombres d’Haïti, nation brisée par un tremblement de terre ce 12 janvier 2010.

« dis-moi ce que tu en penses… » me dit-il par sms.

 

Persuadé de lire un « reportage », un documentaire, tout au plus un journal de bord, la surprise n’en est que plus grande tant le style est fluide, l’écriture svelte, fine et le récit poignant.

Particulièrement doué dans la rédaction qui oscille entre scènes cadrées type documentaire, on nage parfois dans un « Apocalypse Now » des sentiments, jusqu’à sentir les parfums des scènes racontées, tant ce récit de 133 pages est détaillé sur les émotions d’un narrateur, acteur mais aussi spectateur, de cette fissure qui s’agrandit au fur et mesure que les pages se tournent.

L’auteur brille par son sens précis du détail, ses détails.

Moult péripéties, vous vous en doutez, chers lecteurs, dans cette fissure intime pas seulement causée par le tremblement de terre.

Écriture sensorielle, mémorielle et réfléchie.

Recevant quelques mois plus tard le livre « Fissuré », la version définitive, une belle couverture de tôle zinguée, je suis habité par la curiosité, serais-je une fois de plus giflé par la force de l’auteur ?

Oui, et s’y replonger ne fut que bénéfique dans la compréhension des choses, avec une écriture apaisée et cadrée mais néanmoins toujours aussi intense.

Coopérant au sein d’une ONG en Haïti, doublé d’un éducateur spécialisé, le jeune homme raconte dans un récit autobiographique son travail quotidien, auprès des enfants des rues, dans des conditions précaires, et dans une seconde partie, il revient sur son retour en France où comme un scout ayant perdu sa boussole, il cherchera à se reconstruire en chemin.

 

On découvre un récit poignant, ajouté à un tremblement de terre dantesque et à ses multiples secousses sismico-psychiques, on obtient alors un cocktail détonnant, un Rhum qui vous déchire la gorge, un « cocktail molotov » caribéen sur 133 pages.

Au-delà du choc de l’expérience vécue là-bas, le deuxième effet Kiss Cool est la justesse pour peser le mot adapté à la situation, gros travail d’artisan mémoriel, et sensoriel.

Par-delà le tremblement de terre, nous vivons dans chaque ligne sa vie d’expatrié, le travail quotidien de l’éducateur spécialisé confronté aux conditions de vie locale, une fête des morts « théâtrale », des moments de détentes entre coopérant ou locaux, les amitiés naissantes, et surtout un pays d’une ferveur catholique gigantesque, mais aussi des enfants livrés à eux-mêmes.

Et puis la faim, qui rôde à tous les coins de pages, véritable personnage secondaire qui agit comme un épouvantail, ou serait-ce la mort insidieuse qui s’est encore invitée ?

Voulant jouer tous les rôles, la casseuse d’ambiance, est présente partout dans le récit, et en tant qu’européen, on essaie d’avoir un recul, on comprend que cette nation vit avec la mort, que finalement elle fait partie de la vie, et la tenir pas très loin,  ne pas la mettre dans une boite et l’oublier, est peut etre la meilleure solution pour regarder en face ce que nous sommes, des êtres mortels, plein de fissures.

 

Alors précisons un peu notre propos, en effet avec ces quelques lignes vous vous dites, que peut etre ce n’est pas le genre de livre qui va nous vendre du rêve, les caraïbes c’est bonne ambiance, Patrick Juvet aurait pu chanter :

« Où sont les plages ? Et leurs palmiers plein de charme… »

Il est parti sans l’avoir chanté, dommage !

C’est un récit brut de décoffrage sur des émotions particulièrement fortes dans un univers où tout ne tenait déjà pas bien débout et qui en plus s’effondre pour de bon, devant vous, pas devant le journal télé une bière à la main.

La mort rôde comme le veilleur de nuit certes, la vie ne tient qu’à un fil encore et toujours.

 

ET si je vous disais que justement on sort plus fort en lisant ce livre, que ce talent d’écriture si précis, si documenté à fleur de peau, comme une décharge électrique d’un défibrillateur branché sur 133 pages, fait du bien ; on ne s’ennuie pas, et chaque page est truffée de morceaux de vie.

De la lumière il y en a, portée par ces enfants plein de vie, porteur d’espoir et de transmission.

 

L être humain dans sa complexité, trouve toujours un moyen de s’en sortir, plein de ressources qu’il est !

Ce livre est aussi une présentation de ce lent process de reconstruction, du pays peut être, de l’homme surtout.

Le vieil adage dit qu’on ne mesure pas la qualité d’un boxeur au nombre de combats menés mais bien au nombre de fois où il s est relevé.

On se bat contre soi-même, contre les éléments, ce qui nous échappe.

C’est une bonne gifle qui va réveiller les révolutionnaires de canapé, les fans d « ’il faudrait que » ou encore les anarcho-fantasmeurs de réseaux sociaux.

On referme ce livre avec une seule phrase en tête « il en a bavé le copain, ça fait beaucoup pour un seul homme »

 

Et parce qu’il faut un talent certain pour côtoyer d’aussi près la mort, la faim, la solitude et un tremblement de terre….

Et parce qu’il faut un talent certain pour le raconter aussi finement, d’y mettre de la beauté, de l’émerveillement et de nous faire vibrer pages après pages dans toutes ces péripéties du quotidien en Haïti.

Chapeau Bas ! Bravo ! pour un premier livre la barre est très haute !

 

PY

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