BAR

Avant, à ses débuts situés aux alentours de 1990, il s’appelait Nul À Chier. Maintenant, son nom de scène c’est Bon À Rien. On pourra difficilement le taxer d’autocomplaisance. Sans affectation aucune et de but en blanc, il te balance qu’il a choisi de ne chanter que des reprises parce qu’il n’a aucun talent. C’est précisément pour parer à ce genre d’éventualité que le chroniqueur chevronné mène ses interviews assis. Bénie soit l’expérience.

N’étant donc pas tombée plus bas grâce à la fiabilité éprouvée de ma chaise de bistrot, une valeur sûre, je notai scrupuleusement les propos du monsieur sur mon carnet à spirale : « comme je n’ai pas de talent, je propose de l’énergie ». L’énergie en question se mesure à sa capacité à occuper l’espace pendant des heures. Car BAR est seul sur scène ou plus exactement seul à jouer de la guitare. Pour le chant, tout dépend du nombre de spectateurs. « Quand j’ai commencé Nul À Chier, j’avais décidé que je formais un groupe avec le public. C’est pour ça que je ne fais que des reprises, c’est plus facile pour faire chanter les gens ». Bien avant que les journalistes branchouilles et leurs potes experts en analyse gélatino-sociétale ne nous tannent le cuir avec leurs vibrantes prosopées sur l’économie participative et la culture-du-partage-que-c’est-trop-beau-la-solidarité-dans-nos-villes, Steph (c’est son prénom, vous vous doutiez tout de même vaguement que ses parents ne l’avaient pas appelé BAR) faisait chanter son public, histoire que ce ne soit pas toujours les mêmes qui bossent. Celui qui était, lorsqu’il a commencé à jouer dans des groupes, assis derrière sa batterie a voulu pouvoir se balader sur la scène ou dans la fosse, s’arrêter de jouer quand il avait envie de parler, être libre finalement.

BAR

© Stéphane Monnet

Donc Bon À Rien ne joue que des reprises. Il reprend ce qu’il aime et ce qu’il se sent en mesure d’interpréter. « Si je reprenais du Brassens, j’aurais l’impression de l’abîmer. Les chansons que je reprends, c’est parce qu’il me semble qu’elles acceptent l’énergie et l’électrique. » Au début, il se cantonnait au répertoire du punk français puis il a commencé à revisiter la variété des années 60 à 80. Aujourd’hui, un concert de BAR, c’est du Jean-Luc Lahaye, du Hugues Aufray ou du Nicoletta beuglé (mais beuglé juste car il aime ce qu’il chante) par un gars avec sa guitare et sa boîte à rythme, accompagné d’un nombre variable de choristes de circonstance, plus ou moins jeunes, plus ou moins sobres et plus ou moins improbables. Il joue dans les bars ou dans la rue jusqu’à ce qu’extinction de voix desdits choristes s’ensuive car son set est au concert ce que le CDI est au droit du travail : tu ne sais pas pour combien tu en prends quand tu signes. Le bonhomme est capable de tenir cinq ou six heures. Son répertoire est à l’avenant et il le choisit en fonction de son auditoire : « s’il y a des vieux, je fais des chansons de jeunes et inversement ». Il y a des gens qui fuient la facilité avec une constance impressionnante.

Passant, si tu vois BAR brancher son ampli, arrête-toi. Même si tu n’aimes ni Balavoine ni Bérurier Noir, même si tu as une trachéite, même si tu es pressé. Prends cinq minutes. Avec un peu de chance, tu verras un punk à chien chanter « Vanina » (et son refrain aux aigus démoniaques) ou un hipster balancer gravement sa barbe tirée au cordeau sur le rythme d’Amsterdam (la version de Parabellum, of course). Franchement, tu voudrais rater ça ?

Henriette de Saint-Fiel.

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