Life Is Strange

Zut à l’actualité. Zut à la constante nécessite de se justifier tout le temps. Zut à tout, en fait. Oui,  tout le monde a déjà parlé du sujet que je m’apprête à évoquer, des joyeux trublions de Tsugi à nos confrères de Rock & Folk en passant par Francetvinfo. Oui, ke sujet n’est plus de toute première fraîcheur ? Mais encore une fois : zut. Il était temps que Songazine parle de Life Is Strange.

Et maintenant, une petite question toute simple : avez-vous déjà pleuré devant une œuvre de fiction ? Jusque-là, il y a de fortes chances pour que vous répondiez par l’affirmative. Je dois bien avouer que les dernières pages du Désert des Tartares de Dino Buzzati, la conclusion de Restless de Gus Van Sant ou encore les six dernières minutes de Six Feet Under ont tendance à solliciter mes glandes lacrymales avec insistance. Et il y a fort à parier que vous aussi, vous avez vos propres tire-larmes.

À présent, affinons quelque peu la question, voulez-vous ? Avez-vous déjà pleuré… devant un jeu vidéo ? Votre serviteur répond non. En dix-huit ans de gaming (à la louche), j’ai frissonné devant les apparitions d’Alma Wade dans F.E.A.R ou été émerveillé par la déliquescente ville de Rapture dans Bioshock. J’ai ri aux facéties d’Earthworm Jim, j’ai pesté aussi (va te faire foutre, Super Meat Boy), j’ai souvent été ému… mais jamais aux larmes. Mais ça, c’était avant Life Is Strange.

Life is StrageBon, de quoi s’agit-il ? D’un jeu indépendant, développé par les français de chez Dontnod, et édité par Square Enix (Final Fantasy, cela vous dit quelque chose ?). Sorti épisode par épisode tout au long de l’année 2015, à la manière d’une série interactive, il est finalement ressorti en version physique sur PS4 et Xbox One en janvier dernier, avec les cinq épisodes et un artbook en bonus.

Évoquons l’histoire très brièvement et sans rien révéler : Maxine Caulfield, étudiante en photographie dans une petite ville côtière de l’Orgeon, se découvre le pouvoir de rembobiner le temps à sa guise.Un vrai don du ciel ! Ainsi, plus d’erreurs possibles, plus de gaffes ou d’accidents, la jeune fille devient la maîtresse absolue de sa destinée… du moins est-ce ce que le joueur est amené à croire en démarrant l’aventure, très loin de se douter du périple hautement émotionnel qu’il est sur le point d’entreprendre. Car au fil de la progression, et sans rien spoiler, vous serez vite amenés à vous rendre compte que l’usage d’un tel pouvoir a des conséquences, de plus en plus lourdes. Et les dilemmes moraux s’enchaîneront, mettant le joueur toujours plus à vif.

Car Life Is Strange s’inscrit dans cette lignée des jeux narratifs dits « à embranchements », c’est-à-dire que vos décisions auront un impact plus ou moins lourd sur le déroulement de l’intrigue. Dire la vérité à tel personnage ou tout lui cacher ? Se saisir de cette liasse d’argent découverte par bonheur ou la laisser à son propriétaire ? Tout est question de décisions, de choix plus ou moins (a)moraux. Ainsi, chaque joueur peut plus ou moins façonner l’aventure selon ses envies, et chacun aura une expérience différente de celle de son voisin. Le jeu comporte d’ailleurs deux fins, en fonction d’un ultime choix à faire en fin d’aventure. Si en terme de gameplay pur, Life Is Strange n’est que très peu excitant (il est tout juste possible de marcher, et d’interagir avec une grande variété de personnages ou d’objets), c’est en tant que série interactive qu’il prend tout son sens. Une écriture de haut vol, un doublage qui l’est tout autant, des personnages que l’on prendra plaisir à adorer, haïr, voire maudire, des graphismes pastel léchés, une atmosphère de mal-être adolescent et de campus américain saisissante… et surtout, une bande-son AUX PETITS OIGNONS

 Life Is Strange
Bin oui, nous sommes tout de même là pour parler musique ici. J’ai bien conscience que cela fait déjà six longs paragraphes que je vous bassine, mais nous y voilà enfin. Life Is Strange peut se vanter d’avoir une bande-son parfaite. J’emploie rarement ce vilain mot, mais là il est temps de le lâcher. Par-faite. Et là encore, on la doit à des français. Ou plutôt, UN français, Monsieur Jonathan Morali, alias Syd Matters. Les morceaux qu’il compose pour Life Is Strange sont organiques, doux et lancinants, et vibrent d’une incommuniquable nostalgie de nos jeunes années, faites d’insouciance , de soleil, et de cette foule de sentiments indomptables qui naissent avec l’adolescence et l’arrivée à l’âge adulte. Outre les morceaux composés spécialement pour l’occasion, le jeu de Dontnod dégaîne une soundtrack dantesque et éclectique. Alors, c’est sûr que si vous êtes allergique à la galaxie hipster / indie kids / tumblr / chemise à carreaux, ce n’est pas l’OST qui vous réconciliera avec Life Is Strange. Mais pour peu que vous y soyez sensible, on touche là à la perfection faite bande-son.  Arrêtons-nous sur deux cas particuliers.

Premièrement, « Obstacles » du bon Syd Matters, cité plus haut. Ce morceau n’a pas été composé spécialement pour le jeu, mais provient d’un album antérieur du français. Et pourtant, à entendre l’inexpugnable mélange de mélancolie et d’espoir lumineux qui se dégage de ces trois minutes trente, à lire ces paroles qui font mouche, on croirait « Obstacles » taillé sur mesure pour les péripéties de Maxine Caulfield.

 

À noter que ce morceau se fera entendre au début du jeu… et durant son ultime scène. L’Alpha, l’Omega, l’Émotion. La classe.

Changeons de registre à présent, et passons à des poids lourds venus d’un pays où il… pleut tout le temps. J’ai nommé Mogwai. Entendre « Kids Will Be Skeletons » au détour de la conclusion du 3e épisode sera, sans l’ombre d’un doute, un des moments les plus intenses de votre parcours sur Life Is Strange. Voilà le post-rock dans ce qu’il a de meilleur : automnal, flottant, le spleen qui colle à la peau. Croyez-moi, vous n’êtes tout simplement PAS prêts pour la scène que ce brillant instrumental vient accompagner.

 

Grande serait la tentation de citer tous les morceaux de cette divine OST. Vous qui les écoutez peut-être pour la première fois, vous songez certainement que vous avez affaire à de jolis morceaux, sans plus. Quand vous aurez fini Life Is Strange, ils se seront chargés d’une résonnance émotionnelle d’une inxepugnable force. Et vous ne pourrez plus les écouter sans songer à Maxine Caulfield, à Chloé Price et à Arcadia Bay. Life Is Strange est une parabole magnifique sur le passage à l’âge adulte, et sa musique sert son propos d’une façon admirable. Les deux réunis vous arracheront le cœur, y foutront le jeu avant de le jeter à la poubelle. Retraités ou nourrissons, hardcore gamers ou individus n’ayant jamais touché un clavier, gauchers ou droitiers, nazis ou communistes, faites-moi plaisir : jouez à Life Is Strange.

 Life Is Strange
Matthieu Vaillant

 

 

 

 

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