Cet article est le numéro 9 sur 9 du dossier Fictions 2020

6 juin 2019

75 ans après le débarquement des troupes alliées en Normandie, j’ai rendez-vous pour assister à une représentation de la pièce Et pendant ce temps, Simone veille !

Entre le 1 boulevard Pasteur et la place de la Contrescarpe, je m’égare au Bon Marché au milieu des chaussures Dior et des Repetto. Je suis perchée sur des Birkenstock et j’essaie une paire de Veja. Je dénote. Je dissonne.

C’est alors qu’une voix féminine mélodieuse s’échappe des murs et annonce dans les hauts parleurs qu’ « Arthur H sera à l’espace librairie dans un quart d’heure pour la lecture de passages choisis de son premier roman La Fugue. Ce moment sera suivi par un temps d’échange avec l’artiste et par une dédicace de l’ouvrage. »

Suspension. Je lâche les baskets précipitamment et cours vers l’espace librairie.

Là, devant moi, de dos, une quarantaine de chaises vides. Et tout à l’avant, de face, Arthur entouré de deux ou trois personnes que j’imagine être son agent et le responsable de l’espace librairie. Ils discutent.

Je m’empare nonchalamment d’un exemplaire de l’ouvrage posé en piles sur plusieurs tables, et pour me donner une contenance, commence à lire la quatrième de couverture.

Puis j’avance, fébrilement, vers le petit groupe, et demande s’il est possible de faire dédicacer le livre sans assister à la lecture. Parce que Simone m’attend !

Je me retrouve alors en tête à tête avec Arthur et lui explique que l’un des grands drames de ma vie musicale, c’est de ne l’avoir encore jamais vu sur scène. Il tente de me rassurer en me disant qu’il n’a pas fini de faire des concerts, et que j’aurai encore moult occasions de l’entendre. Je lui tais mon drame higelinois narré ici, s’il savait…; je lui dis que j’adore ce qu’il fait, ne trouve pas mes mots, me trompe de mesure, fais des reprises où il ne faut pas, tente un si dièse ou un do bémol, et pars m’engouffrer dans une bouche de métro.

En quelques aller et retours quotidiens à bord des lignes 9 et 10, je dévore le roman. Je pouffe de rire lorsque Bach se met à parler en trilingue avec son accent allemand. Je suis suspendue à l’épopée de la maman d’Arthur, la boxeuse amoureuse, et je me demande pendant 187 pages si le Jacques, frère de Roger, dont il est question dans le roman n’est autre que le père d’Arthur. Je ne le saurai jamais. Ou du moins, je ne le sais pas encore.

Bande annonce de La Fugue

Clip poétique de La Boxeuse Amoureuse avec Roschdy Zem et Marie-Agnès Gillot

 

31 juillet 2020

24 heures après mon débarquement dans la Drôme, je n’arrête pas de passer en voiture devant des affiches annonçant un concert d’Arthur H. Cependant à chaque fois, on va trop vite, le bolide est en mode allegro, impossible de lire la date. On fait demi tour, on fait une pause. Le concert a lieu le lendemain.

Après midi du 1er août, gamme mineure, le ciel gronde, s’assombrit, il commence à pleuvoir, c’est l’alerte ora(n)ge, ça paraît mal barré pour un concert en plein air dans un parc arboré. Un double arc en ciel me guide pendant 30 kilomètres sur la route humide. Arrivée à Dieulefit, zéro trace d’eau. Arthur nous apprendra plus tard que la nouvelle municipalité, qui met en place une démocratie participative, a fait des rites chamaniques toute la journée pour que la ville soit épargnée par le phénomène météorologique.

Le récital est un moment suspendu après ces mois sans concert en chair de poule et en os. Il y a même, entre autres, une caravane à crêpes, un stand de bières, et du thé à la menthe. Pour moi ce sont les signes que l’on est à un vrai festival, et ça fait du bien.

Seul sur scène avec un piano, durant une heure trente, Arthur H envoûte le public avec sa voix rocailleuse et profonde. L’assemblée est captivée par les paroles poétiques qu’elle reprend sous la direction du maestro, ainsi que par les transitions entre les morceaux emplies d’humour et de spontanéité. Il narre que Leonard Cohen a écrit Tree of Songs, une histoire de chansons qui s’envolent d’un arbre, et que les artistes saisissent au passage. Est-ce un synonyme de l’inspiration ? C’est en tout cas ainsi qu’est née les Trois Petits Nains composée dans la Drôme, et au cours de laquelle on apprend que la vie c’est comme du chocolat, de la vache qui rit, un grand ping pong, et du bollywood. Et à chaque fois qu’Arthur H prononce le nom de Leonard Cohen, un bébé de l’assemblée se met à pleurer très fort, provoquant des interruptions et un certain comique de répétition.

Je te remercie Arthur pour ce moment de folie onirique et romanesque. Je te remercie Arthur pour ta générosité. Je te tutoie, cachée derrière mon écran, mais si tu étais devant moi, je me ferais toute petite et je te vouvoierais.

Cela fait des années que j’attendais ce moment, et le contexte actuel ne le rend que plus doux et mémorable.

Et je me replonge dans la fugue.

Clip de Moonlove Déesse

Charlotte Poul

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