Il y a des fois où ça ne veut pas sourire. Des jours où cette chienne de vie vous joue des tours pendables, vous repousse dans les cordes, vous transforme en gibier de potence et vous laisse dans la tourmente à panser votre douleur et vos maux.

Timothy Showalter en a connu de ces moments-là. Alors qu’il est en tournée, sa femme s’embringue dans une love affair; son couple part en sucette. Quelques mois plus tard, sa maison part en fumée et son jeune frère Jon est victime d’une attaque cardiaque dont il se sortira miraculeusement fort heureusement.

Alors plutôt que de se morfondre, Showalter décide de partir sur la route avec sa guitare – tel Cliff dans le roman ‘’Une odyssée américaine’’ de Jim Harrison –, dormant alternativement dans des motels ou sur des bancs publics selon les nuits.

Le songwriter originaire de l’Indiana parvient tant bien que mal à garder l’inspiration.

Il nous revient aujourd’hui avec le nouvel album de son projet Strand of Oaks – son 5ème, Hard Love, qui vient de paraître.

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Après avoir mis au rebut une première version de l’album qui ne lui plaisait pas, Showalter fait équipe avec le producteur français Nicolas Vernhes. Ce dernier parvient à le débrider, notamment en lui faisant assumer pleinement ses influences jusqu’alors refoulées : son goût pour le son des guitares de Creation Records, label britannique indé fondé en 1983 par Alan McGee (The Jesus and Mary Chain, My Bloody Valentine, The Boo Radleys, Ride, Slowdive,…), le groove des compilations Trojan et le génie de Jane’s Addiction.

Hard Love a été écrit avec beaucoup d’acharnement ; sa gestation a été lente et douloureuse.

‘’Pour moi, il y a toujours deux forces agissantes dans le travail : d’un côté, la recherche permanente de la chanson parfaite et de l’autre, la situation où tu es nu dans le désert, en train de crier sous la lune. Le truc, c’est de trouver sa place au milieu des deux, pour qu’aucune des deux forces ne t’entrave mais t’élève au contraire’’.

Le gaillard à l’allure de métalleux a donc puisé sa matière dans ce qui constitue son unique source d’inspiration : la vraie vie, la sienne.

Showalter aborde les thèmes de la relation amoureuse, de la famille ou encore le vieillissement.

Artiste d’instinct, son travail varie au gré de ses lubies, de ses passions et de ses inspirations musicales, mettant à nu la diversité de ses sentiments et de ses émotions, entre abandons et regrets poignants.

Hard Love est un album rock, buriné par la vie, taillé à la serpe de l’existence. L’énergie implacable qu’il dégage est magnifiée par les prouesses de Jon Anderson à la guitare.

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Radio Kids est une ode à la jeunesse et à l’époque (révolue) où la musique représentait quelque chose de pure et d’innocent. Showalter y projette son désir de mettre à distance ses responsabilités d’adultes dans un monde qu’il ne reconnaît plus. L’inspiration lui vient des Modern Lovers (le groupe de Jonathan Richman au début des seventies) que Showalter se souvient d’avoir entendu ‘’tardivement une nuit à l’âge de 12 ans; ça m’aura pris 5 ans pour retrouver le nom du groupe. C’était beau et innocent. Aujourd’hui, j’ai vieilli et je me réveille le matin avec un mal au dos’’.

Everything est directement inspiré de la chanson Cowgirl du groupe de musique électronique britannique Underworld (1994). ‘’Lorsque Karl Hyde (chant, guitare) dansait, c’était le sorcier le plus sexy que j’ai jamais vu’’.

Le langoureux On the Hill est le soleil de l’album. La chanson relate son expérience (hallucinogène et psychédélique) pendant trois jours, lors du Boogie Festival en Australie. ‘’C’est un peu comme si j’avais eu à survoler le monde pour chercher qui j’étais ; j’ai vécu une sorte de détachement qui m’a permis de me connecter avec les gens au premier degré, en faisant fi de mes inhibitions. Ce moment où tous les festivaliers s’embrassent dans une euphorie collective, au beau milieu des lumières des briquets. J’ai compris à ce moment-là ce que voulait dire ‘’être vivant’’ ‘’.

Cry est une ballade au piano poignante avec le refrain ‘’Hey…you’re making me cry’’, un dur rappel de la vie passée de Showalter. Elle évoque ce moment où ‘’les meilleures nuits cèdent la place aux matins ou milieux d’après-midi les plus sombres, où tu dois affronter ceux que tu as pu heurter, ceux à qui tu as pu faire du mal. ‘’Cry’’, c’est le moment où tous les gens que j’aime fondamentalement me disent que j’ai été un trou du cul, celui où tu réalises que c’est toi la cause des problèmes’’.

Quit It décrit ‘’ma réaction lorsque j’entends ce que m’ont dit les gens sur ‘’Cry’’. Quand je suis à cette soirée où je ne connais personne et que je voudrais être chez moi avec mes chats et allez faire mes courses avec ma femme’’.

Rest Of It est le chef-d’oeuvre de l’album, prêt à enflammer les stades du monde entier. Showalter y dépeint ces ‘’rudes nuits d’ivresse où tu essayes de fuir tes responsabilités pour avoir une dernière fois du bon temps’’. Jason Anderson balance des solos de guitare intenses et fulgurants, tout simplement monstrueux, en mode Wilco meets The Rolling Stones. ‘’Dieu merci, il a choisi la guitare plutôt qu’une vie de criminel. La musique sauve’’.

Taking Acid And Talking To My Brother connecte les trips hallucinogènes de Showalter avec l’hospitalisation en urgence de son jeune frère de 27 ans, victime d’une attaque cardiaque. ‘’L’acide n’est pas le thème de cette chanson ; elle célèbre plutôt le fait que mon petit frère adoré est toujours parmi nous. Il porte aujourd’hui un défibrillateur cardiaque qui le fait ressembler à un Borg (créatures cybernétiques dans Star Trek). J’ai passé deux semaines avec lui à l’hôpital ; les médecins nous annoncèrent qu’il n’avait que 10% de chances de s’en sortir ; ils l’ont plongé dans un coma artificiel pour éviter toutes séquelles neurologiques. Quelquefois, il lui arrivait de se réveiller et de me regarder droit dans les yeux. C’est la chose la plus horrible qui me soit jamais arrivé. Mais il va mieux et c’est tout ce qui importe’’.

 Hard Love est un album rock, à la fois cathartique et résilient.

Showalter émet le vœu qu’au contraire de ‘’certains albums (qui) sont construits comme des monuments, gravés dans le marbre’’, Hard Love ‘’soit brûlé en effigie et en célébration du temps limité que nous avons à vivre sur cette Terre ».

‘’De si loin que l’on revienne, ce n’est jamais que de soi-même’’, disait un poète égyptien.

‘’Mais c’est déjà beaucoup’’ serions-nous tentés de rajouter dans le cas de Timothy Showalter.

 Alechinsky.

 

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