(photo : Marta Del Grandi, divine chez Fire Records)

Aller à la facilité de cirer les pompes des disques d’or et d’argent acclamés par la presse mainstream, voilà qui n’est pas notre tasse de thé.

C’est d’ailleurs un biais cognitif classique, ce « biais de confirmation » qui indique à un journaliste musical un poil flemmard : je viens de lire que « ce disque est très bien noté par des « grands » titres, donc j’en parle pour ne rien rater du flow d’actus qui font du bruit (exemples = Madonna, les reines keubla US du RnB autotuné, Taylor Swift et j’en passe) et j’écris que c’est bien à mon tour sans nul risque, voire en un facile copier-coller du confortable dossier de presse, qui inclut de jolies photos. Les réseaux sociaux peuvent aussi jouer leur beau rôle de caisse de résonance.

Les gros vendeurs de daube musicale fadasse ont de beaux jours devant eux. Mais n’est-ce pas l’une des raisons d’être du show-business, après tout ?

Ceci dit, ce « show-business » inclut depuis toujours des outsiders, des créatifs, des rageux, des révoltés plus ou moins sincères, des idéalistes échevelés, des barbus atypiques, des punks sans crête, voire de grands talents qui manquent cruellement de financement et de bombardement en algorithme… ou n’en obtiendront qu’après avoir un poil percé en suant sang et eau. Beaucoup sont morts au champ d’honneur et sont retournés faire ingénieur du son intermittent, avant une quelconque reconnaissance et, soyons francs, il existe pas mal de déchet aussi dans ces catégories illuminées de l’intérieur. Ce n’est parce que vous vous collez l’étiquette « rebelle » que vous écrivez Blitzkrieg Bop !

Si je prends un peu de recul, post 10 ans de Songazine, nous mettons en avant et recherchons patiemment ceusses qui sont méconnus de ce monsieur dans la rue, et sporadiquement dans la galère financière, mais arrivent à vivre de leur art, avec des hauts et des bas. Peu de millionnaires ont été chroniqués en ces colonnes mais une bonne part d’entre eux arrivent à vivre correctement de leur art.

Il semble certain que quasiment tous les singles, EP, albums, live, concerts et festivals dont nous avons parlé en plusieurs milliers de posts se situent dans des franges fort fort éloignées du gras succès marketing populaire et de tête de gondole de supermarché, de passages radios matraqués et de tubes pour faire danser des ados en mal d’accouplement et des ménagères de plus de 50 ans qui ont un point commun LOL : elles et ils « écoutent de tout », c’est à dire pas grand-chose.

Fierté mal placée ? Elitisme systématique ? Volonté farouche de se distinguer ? Attitude d’évitement des foules ?

Les quatre, sans doute.

Mais préférer obstinèment les Jean Moulin du rock and roll aux Pétain du hip-hop et le « no pasaran ! » vs. se rendre sans combat à la majorité moutonnière nous occupe l’esprit, avec les index gambadant sur l’azerty et le pouvoir de chanter Bella Ciao dans sa version originale et non remixée.

Si j’entends un jour du Joy Division dans un ascenseur, je monte les étages à pied.

Après ce préambule qui m’a mis d’excellente humeur, voici la sélection du jour (pointue, forcément, pointue) …

Supergroupe indie

Trunks c’est l’association en mode « supergroupe » de plusieurs musiciens talentueux et indie pop rock d’une complexe galaxie rennaise qui inclut Laetitia Sheriff et Daniel Paboeuf, où tout le monde se connaît. Bref, nous un peu, mais la question n’est pas là ;

Résultat en octobre 2023 ? La sortie d’un nouvel album intitulé We Dust et qui rentre dans les tympans insidieusement via des ambiances étranges et attachantes. Pas banal !

Si vous avez lu mon introduction, vous comprendrez que mon intérêt est sincère pour tout ce qui mérite d’être écouté plusieurs fois et dérange un peu l’ordre établi de couplets-refrains ultra consensuels.

We Dust peut vous fournir des plaisirs subtils via ces chansons hardies en mélodies, riches en sons amples, mêlés de riffs inquiétants. Le sax de Paboeuf vient pimenter régulièrement les accords (qui ne pense pas à Marquis de Sade prend la porte).

La chanson Blood On Poppies pourrait figurer dans la B.O. d’un David Lynch (hey, c’est pas un compliment, ça ??).

Un disque sombrement recommandé, pour une écoute méditative et mélancolique. Ce qui veut dire :’ « on aime ».

Marta Del Grandi c’est vraiment beau

Paradoxalement, il nous arrive également des albums qui sont si beaux que l’on s’inquiète de ne pas les voir figurer dans les hit-parades et les chroniques en 3 lignes et 5 étoiles des magazines à fort tirage.

Selva, de Marta Del Grandi contient des perles splendides, portées par une voix magnifique. Je suis divisé entre le sentiment d’injustice (peu de gens auront en fait la chance de profiter de cet art émouvant) et un ricanement sinistre se moquant bien des masses satisfaites de vocalises simplistes portée par des greluches court-vêtues (et #metoo, alors, hein ??), à qui ce privilège sera inaccessible, faute d’opportunités rendues possibles par un déploiement médiatique de choc.

Elle chante superbement, elle est belle et naturelle, cette musique sensible peut passer le cap des décennies et demeurer brillante sans se ternir. What else pour réussir ?

1 million de dollars de promo, cher ami !

Ceci dit Fire Records ne ménage pas ses efforts et touchera une cible de connaisseurs avertis, dont vous faites partie, lucky people.

Piano thérapeutique

On fait dans l’intello, le zen, l’éthéré, le planant, le très lent- mais oui et on assume- avec Eno Piano, soit Bruce Brubaker, chez Infiné, interprétant des morceaux de Brian (coquille : j’avais écrit « Brain », mais ce n’est pas idiot 😊) Eno, avec -je cite- de nouveaux « archets » électromagnétiques qui font vibrer les cordes à l’intérieur du piano, créant ainsi des harmoniques ou des vibrations plus complexes et colorées. Music for Airports par exemple, sonne encore plus méditatif.

Au passage je remarque qu’en 2023, une musique pour airports appropriée serait davantage une cacophonie autotunée, mais bon…

Folie constante

On finit malgré tout en mode grand public ? Oui quand même, ultra-populaires ET satisfaisant fortement le critère « excellence artistique » : les Madness nous réjouissent depuis 40 ans et leur dernier single « Baby Burglar » toujours chaud et ska, évoquant le cambriolage commis chez l’un d’eux. Inoxydables !

Jérôme « still digging » V.

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