Depuis 1978, Philippe et Hervé Lomprez du groupe TRISOMIE 21 tracent leur chemin sans s’encombrer du dehors, affairés en studio à créer leur propre musique industrielle/cold-wave, à découper, superposer et maroufler les sons et les textes. Huit ans après la sortie de leur dernier album « Black Label », ils viennent de sortir « Elegance Never Dies ». Nous les rencontrons en fin d’après-midi dans un hôtel sans fard niché dans le IXe arrondissement de Paris et les découvrons tels qu’en eux-mêmes : humbles, indépendants, libertaires, cohérents, travailleurs, alchimistes, complices, anti rocks-stars. Une longue interview que nous vous livrons tout au long de la semaine, en quatre volets.

 

Quels souvenirs retenez-vous depuis le début de votre carrière ?

Philippe : On commence à jouer et à composer les premiers titres en 1978 mais c’est à partir de 1981 que ça démarre réellement. Il y en a tellement des souvenirs… (Il hésite) Personnellement, c’est la tournée au Canada en 1986 qui m’a le plus impressionnée.

Hervé : Peut-être aussi parce que c’est une des premières. Ce qui m’impressionne, c’est qu’on ressorte régulièrement un disque. Quand tu en sors un, tu n’es pas certain d’en sortir un deuxième… et là, on en est au 17ème, ça me surprend toujours.

Philippe : A l’époque, il n’y a pas encore Internet, on nous demande au Canada en nous disant qu’on était connus là-bas. Un gars nous contacte mais comme on ne veut pas y aller, on demande un cachet volontairement élevé pour qu’il refuse. A notre grande surprise, il accepte donc on est obligés d’y aller. Une fois sur place, on bascule de statut. De jeune et même encore lycéen pour le bassiste, on passe à vedettes du rock’n’roll, sans transition. On descend de l’avion, paf direct ! Il y a la TV, on est dans les charts, c’est Montréal, un peu les States. C’était un peu étrange d’aller boire des coups dans les bars et les boîtes alors qu’on passait habituellement tout notre temps en studio.

 

Denain (NDLR : leur ville de naissance).

Hervé : Idéal pour les vacances ! (rires)

 

Ce lieu a-t-il eu un impact sur votre musique ? Et si oui, de quelle manière ?

Philippe : Denain, c’est tous ces bassins industrieux (la sidérurgie en l’occurrence), c’est le chaos, la fin du monde. C’est la fin d’un monde, du grand n’importe quoi. Des gens qu’on flanque à la porte comme des animaux. Dans cet environnement, nous on est jeunes, même si on ne vient pas d’un milieu très modeste. On se dit « c’est donc ça la norme, c’est ce monde ? ». Nous, on n’en veut pas ! S’appeler Trisomie 21, c’est se dire qu’on préfère être du côté de l’anormalité parce que c’est là qu’il y a l’humain et la sensibilité. De l’autre côté, c’est la moulinette !

En plus, c’est une région où il n’y a pas de culture, les différentes guerres ont tout laminé… les châteaux, etc… on a le sentiment d’une région sans Histoire, sans culture, sans passé. Par contre, on lui a collé des concepts : le travail et le progrès. Une vision entre le grand patronat et le marxisme qui se disputent ces concepts. En réalité, il n’y a plus de travail et où est le progrès ? C’est Pôle Emploi ! Du coup, ce monde dans lequel on vit au quotidien est dévasté, comme peut-être c’est le cas aussi à Manchester, Maubeuge ou Longwy… Alors forcément, on ne fait pas une musique qui reflète autre chose que ça. Le vrai truc, c’était de se dire « il ne faut pas se laisser étouffer » donc il y a une rébellion, il faut qu’on soit le reflet du chaos.

 

Une colère ?

Philippe : Une colère, bien sûr. L’influence est évidente. On ne rentre pas dans les systèmes comme démarcher la mairie pour avoir une salle de répétitions… Non, on veut être indépendants parce que tout ce monde-là, ça ne nous intéresse pas, c’est le monde d’avant.

à suivre…

Alechinsky

Dans le dossier :<< Interview de TRISOMIE 21 (Part 2)
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