La cigarette au bec et les mains dans les poches, le fantôme allègre de G. descendit dans le pont inférieur de la péniche. Foule compacte et bien peignée. Un air de revival et une brise de nostalgie se mêlaient aux senteurs d’une nuit pleine de promesses.

Au bord de la Seine paresseuse, c’était là qu’on avait amarré le Tout Petit Pain, entre le Fato-Bar et la Jonque Keponque. Salle de concerts-tard, bar et frites trempées dans le mojito. L’époque épique des francs était loin mais les euros et l’héro avaient encore cours. D’ailleurs, s’il était encore vivant il aurait bien fait se chatouiller ses propres narines. Mais spectre tu es, spectre tu demeures. Poudre d’escampette, adios.

Il flottait avec grâce, visible par moments, illusion pour certains mais souvenir pour nombre des participants de la soirée qui s’annonçait. Forcément.

Modern Type c’était son groupe et lui avait quitté le navire Life beaucoup trop tôt : 27 ans et pffttttt adieu ! L

Au moins là-haut, il buvait plein de coups avec Amy et Janis en disant les filles je suis Frenchy Dead chic ! Et elles rigolaient, les coquines.

Mais ses vieux potes A1 et A4, poussés par Y. et P. avaient exhumé une fameuse cassette audio enregistrée à coups de Brevox en 2,5 pistes mono-mono-mono. Une cassette pleine de chansons de 1981 avec sa voix encore fiévreuse, chaude, mêlée aux talents complices de musiciens d’autres groupes. Comment s’appelaient-ils déjà ? Edith Roméo et Suicide Nylon ! Et ils avaient enregistré des morceaux vachement bien. C’était dans les studios Bar-Cadet. Un temps lointain où les maquettes ne se condensaient pas en un fatras de 0 et de 1. Du bon boulot. Mais après, il avait manqué la maison de skeuds, la production, l’oseille et la soupe, le marketing-ting-ting et les attachées de presse.

Ah, les attachées de presse cuvée 1981. Priscilla, Camélia, Zoubida ou la Gertrude Van M., il les revoyait aussi nettement qu’un Pola tout frais. Maintenant mères de famille ou divorcées deux fois mais plus trop attachées, ni pressées.

Mais ce soir, c’était donc le moment de la ressortie, de la nouvelle vie de ces chansons. Les poteaux avaient tout remotorisé, comme une Buick nickel, astiquée jusqu’à la calandre.

Le tout Paris né entre 1957 et 1964 était paré à chavirer ; Et en plus il y avait les Crasse Pro-Duc en fin de soirée avec l’ultra belle Mono Soyac, cuvée 1981 mais sans oxydation, ni dépréciation. Roland et Korg, ça conserve.

Un chat bleu passa entre ses jambes mais il ne releva pas. Monsieur Loyal Perrin annonça gentiment que G.Y.P. allait se produire sur scène. Applause. Ça n’avait pas changé et la tension pré barouf demeurait inoxydable. D’ailleurs il se rendit compte que Dan Dark était penché au-dessus de son épaule dématérialisée ; il lui rendit un sourire carnassier.

Des quinquas pas trop plissés, des quinquas pas trop moches, voilà ce que G. pensa soudain en apercevant ce groupe qui se nommait G.Y.P. attaquer les chansons sans trembler. C’était chou d’avoir gardé le G. pour lui faire honneur. Cette bande-là n’avait pas lâché la rampe. Moins de cheveux, plus de rides mais la petite lumière toujours allumée… Tout revenant qu’il fut, il ne manquait pas d’avoir la dent dure à l’encontre de certains jeunes gens qui se parèrent de l’adjectif moderne en supplément payant. Ma génération, ricana-t-il, I hope I die before I get old (souhait pour lui-même exaucé songea-t-il aussi)

Nota bene : Il en avait vu partir en sucette, renier la muzak, regarder l’écran plat dans leur salon, scruter leur compte en ligne et faire chier leurs mômes à leur tour, le cœur figé et les neurones avachis.

Et alors, si leur album s’appelait S’Il Fait Jour Encore, c’était bien que l’esprit avait été conservé dans la lampe. Vétérans pas rances. Un gig gigoteur.

Les douze coups de minuit sonnèrent. La buée avait troublé les vitres du Tout Petit Bain. Le chat bleu chantonnait les accords de « Satory à Tokyo ». Une Marquee Moon se leva, ronde dans un ciel clair.

Puis il repartit, flottant entre le sol et le périphérique Sud, le cœur léger et la mémoire honorée. Ce métier de baladin électrique est bien inutile s’apprêtait-il à réexpliquer avec mauvaise foi à Jim et à Kurt qui lui riraient au nez encore et encore.

Jérôme « façon Chérubin » V.

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Pour tout savoir sur la vraie histoire de G.Y.P., cliquez ici 

 

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