Je me demande parfois si je n’ai pas rêvé certains épisodes de ma vie ; des souvenirs anciens refont de temps à autre surface, provenant d’autres époques, lieux, avec des personnes disparues ou oubliées !

A tête reposée, souvent dans la période du réveil matinal, j’ai régulièrement l’impression de développer une capacité temporaire et étrange de joindre à rassembler des morceaux de mon passé pour en extraire un souvenir précis.

En voici un, qui n’est pas banal, mais avait été enseveli sous la poussière du temps et le mille-feuille de ma vie polychrome et multiforme. 37 ans se sont écoulés depuis lors…

Trois facteurs de temporalité qui ont été concomitants et m’ont concerné tout à fait directement !

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En juillet 1982, étudiant de l’ESC Lyon, j’effectue un stage un peu « photocopies », beaucoup « j’apprends l’anglais » à Londres, dans une compagnie maritime appelée Samsun Shipping. Mon père m’avait « pistonné », travaillant dans le monde des transports internationaux et j’étais tranquille dans cette société, située à deux pas de Regent’s Park. Pas de stress, des gens charmants (iraniens, turcs, britanniques) ; j’appréciais beaucoup le chariot des thés et cafés, qui parcourait les bureaux deux fois par jour ! j’avais dit coffee with milk lors de mon arrivée et un mug brûlant contenant le dit liquide m’était offert avec la régularité d’un métronome par un employé zélé et souriant. Je commençais à apprécier la musique punk, « new-wave », indie et pensez-bien… Londres me faisait tourner la tête. Chaque soir, un concert ! J’ai vu les Clash en concert à Brixton ou The Cult (qui s’appelait Southern Death Cult) à l’Hammersmith Palais par exemple, mais ceci est une autre histoire…

Pas de cantine dans les beaux bureaux, moi pas trop de budget pour déjeuner (concerts et disques en priorité !) Presque tous les jours, je m’achetais une paire de sandwiches « en triangle », une barre chocolatée et j’allais à Regent’s Park juste à côté, manger en écoutant les fanfares qui y jouaient souvent, dans un kiosque

Le 12 juillet 1982, paraît un double 45 tours de The Cure ; intitulé « a single », il comprend deux titres de l’album Pornography, mais aussi une version live de deux chansons déjà cultes : A Forest + Killing an Arab. J’ai dû voir une publicité sur les affiches murales, très nombreuses à cette époque, placardées en nombre sur les palissades et les chantiers. Les albums et singles étaient ainsi mis en avant de façon bigarrée et appétissante pour les fans.

the Cure a single

Le 20 juillet, je me décide de profiter de l’heure du déjeuner pour foncer au HMV Music Store pas loin pour acheter le double 45 tours tant convoité ! J’en ai oublié le prix (2 ou 3 livres ?).

Le 20 juillet, précisément, à Regent’s Park, at lunch time, se passe ceci :

« Vers 12 h 55, une bombe déposée sous un kiosque à musique de Regent’s Park explose à son tour, alors que des musiciens des Royal Green Jackets sont en train d’interpréter des extraits de la comédie musicale Oliver! devant un public de 120 spectateurs environ. Six musiciens sont tués sur le coup et un septième meurt de ses blessures le 1er août. Les autres sont blessés, ainsi que plusieurs civils, mais le public sort relativement indemne de l’attentat dans la mesure où la bombe, contrairement à celle de Hyde Park, ne contenait pas de clous. »

L’IRA avait frappé là… (et encore plus violemment à Hyde Park ne pas l’oublier), mais donc exactement là où je mangeais mes sandwiches en triangle le midi (et je vous garantis que je m’asseyais toujours au premier rang pour écouter les fanfares).

Certes, aucun spectateur n’a péri mais le choc ou les blessures doivent être des souvenirs bien pires que l’écoute de The Cure et la possession d’un double 45 tours désormais « collector ».

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Si tout va bien, le 23 août 2019, j’entendrais avec un plaisir immense « A Forest » en live à Rock en Seine.

37 ans plus tard, parmi la foule et les fans, le sourire aux lèvres et l’esprit heureux, je remercierai encore Robert Smith de m’avoir charmé, fait rêver, danser et sans doute évité de prendre une dose d’explosifs made in IRA dans la figure.

C’est ce qu’on appelle être au service de son public, non ?

Jérôme « come closer and see » V.

 

 

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