Off Track, c’est du rock’n’roll, du vrai, du tatoué. Je m’attendais presque à ce que leur local sente le cambouis et soit envahi de vieilles bécanes, mais non, seulement des instruments partout (les leurs et ceux des autres groupes qui répètent ici) et une épaisse fumée de clope. Ces cinq garçons-là, qui ont pas mal de kilomètres au compteur scène, ont passé l’âge de la pose et font ce qui leur plaît : du rock gras, primal et authentique. Malgré l’ambiance de vacances et une forte tendance à la vanne potache entre les comparses, l’interview a beaucoup tourné autour de leur méthode de travail. Comme quoi, il n’est pas pas besoin de se prendre au sérieux pour se faire sérieusement plaisir.
Le groupe existe depuis combien de temps ?
Juju : sous le nom d’Off Track, depuis 2013 mais on a commencé bien avant, en 2011, avec un autre nom.
Laurent : on avait une petite marotte, chaque fois qu’on faisait un concert, on changeait de nom. On se cherchait un peu, il y a eu pas mal de changements de line-up et à chaque fois, on changeait de nom. Quand ça s’est stabilisé, on n’a plus bougé. Le nom, c’est Stéphane qui l’a trouvé.
Stéphane : Off Track, ça signifie « sortie de route ». Ça nous allait bien.
Où avez-vous enregistré votre album ?
Juju : Chez Armel, un pote à nous qui fait du son. On l’a rencontré lors d’un concert, on lui a parlé du groupe et il s’est proposé pour nous enregistrer au moment où on commençait à avoir pas mal de morceaux. C’était l’occasion d’enregistrer notre premier LP. Ça s’est fait comme ça, chez lui, sur deux week-ends, mixage compris. Laurent s’est occupé du design de la pochette.
Laurent : À part le pressage des vinyles, on a tout fait nous-mêmes, en autoproduction, sans subvention ni label. Comme il fallait un statut pour le sortir, on est passés par l’association Cul Sec (ndlr : créée par l’ancien groupe de Juju) qui nous a beaucoup aidés. On a décidé de le sortir à 300 copies en vinyle et CD, en package. Comme on est des amateurs de musique, on aime énormément le vinyle. Pour nous, c’était une hérésie de ne pas le sortir en vinyle. Mais on s’est dit que le cd était un support qui fonctionnait depuis des dizaines d’années et pourquoi pas faire les deux, ça peut être intéressant. Ceux qui n’ont pas de platine peuvent mettre le vinyle sur une étagère. On trouve que c’est un bel objet et comme on a fait un insert numéroté, on ne le voyait pas au format cd. La particularité d’Off Track, c’est qu’on n’a pas débuté en faisant des reprises. On a tout de suite réussi à faire des compos. D’ailleurs, on n’a toujours pas de reprises et on a 19 titres.
Juju : on a un set qui est prêt mais on est tout le temps en compo. On a toujours des idées, qui peuvent venir d’un riff de guitare, d’un tempo de batterie, d’une idée de chant… Tout le monde s’y met, tout le monde compose et on a sans arrêt de nouvelles idées.
Laurent : il arrive qu’en répèt’, pendant que les autres branchent les amplis et s’installent, un des deux guitaristes fait un riff et on se dit que c’est pas mal et qu’il faudrait le mettre dans un coin. Soit on a décidé de bosser à ce moment-là pour préparer un concert donc on enregistre ce qu’on a trouvé et on le bossera plus tard, soit on se met tout de suite dessus et on prend une heure ou deux et on essaye de mettre ça en place.
Alain : Ça prend des fois beaucoup moins de temps ou beaucoup plus. Ça dépend.
Ça marche toujours de mettre un morceau autour d’un riff qui plaît ?
Laurent : des fois c’est compliqué. On trouvera le couplet tout de suite et on va galérer deux heures sur le refrain.
Stéphane : et puis il faut qu’on soit tous d’accord. Et ça aussi, c’est compliqué.
Laurent : j’écris les paroles, avec Alain. Quand on commence à travailler un morceau, en général le chant, c’est ce qu’on appelle du yaourt et à la suite de l’enregistrement, je bosse les paroles et je vois avec Alain si ça colle bien avec sa façon de chanter, par rapport au placement des mots. Les paroles sont très engagées, mais surtout sur les sujets boisson, moteurs et rock’n’roll. Il n’ y a pas de message particulier, aucun message politique. On est plus sur le rock’n’roll alcoolique.
Juju : on essaie d’être subventionnés par Jack Daniel’s mais, a priori, ça ne marche pas.
Etre à Limoges, pour faire du rock’n’roll, c’est déterminant ou pas ?
Alain : je trouve que c’est plutôt un bon endroit.
Laurent : Déterminant, pas plus qu’ailleurs. Le public réagit en fonction de ce qu’il entend et de ce qu’il a envie d’écouter. Il vient aux concerts ou pas, en fonction du style aussi. Je ne pense pas que ce soit une ville où c’est plus compliqué ou moins compliqué qu’ailleurs. La différence c’est que Limoges a toujours été une ville rock, je crois qu’on peut dire ça. Il y a toujours eu des groupes de rock, depuis les années 60. Il y a eu des groupes punks très tôt avec le groupe Raff qui avaient sorti, à l’époque, deux albums et deux 45 tours et qui faisaient pas mal de concerts. Il y a eu aussi Medikao. Ça a toujours regorgé de groupes, en fait, plus ou moins connus et de styles différents mais qui étaient là. RTF (Radio Trouble-Fête, radio associative historique de Limoges) avait fait une compilation à la fin des années 80, qui s’appelait Rock à Limoges et sur laquelle il y avait du hard-rock, du rock, du punk… Il y a eu Limoges Punx (ndlr : cf notre article sur Undersounds), des sorties de cd avec des groupes locaux qui ont aidé à faire connaître tout ça, la salle John Lennon aussi, qui a fait venir pas mal de groupes pour lesquels il fallait des premières parties et pourquoi aller chercher ailleurs ce qui existait sur place ? Limoges a toujours bougé au niveau rock. Il y a toujours eu des bars, des lieux qui faisaient des concerts, La Fourmi (anciennement le grand Zanzibar), le Woodstock… Au 22 (ndlr : le mythique « 22 rue de la loi » aujourd’hui défunt et ressucité sous le nom de « Espace El Doggo »), il y a eu 4 ou 5 concerts par semaine.
Je ne sais pas si on peut dire que Limoges est rock mais il y a toujours des personnes qui ont fait en sorte qu’il se passe quelque chose.
Les projets du groupe ?
Laurent : on va enregistrer sept morceaux pour les garder sous le coude, en pré-prod. Parce que Stéphane doit déménager et on veut garder une trace pour travailler. Ce sera une autre gestion.
Juju : c’est intéressant pour le groupe parce que ce sera une méthode de travail différente. On a réussi à avoir quelque chose d’intéressant, on sait comment chacun fonctionne donc on ne change pas de line-up mais seulement de façon de travailler.
Laurent : on continuera les répétitions, ce qui nous semblera intéressant, on l’enverra à Stéphane qui verra ce qu’il peut en faire.
C’est facile de trouver des dates ?
Laurent : ça marche par contacts. Dans la mesure où nous avons sorti un album, il est facile de dire aux gens d’aller l’écouter et de voir si ça leur plaît.
Alain : je pense que le meilleur moyen c’est d’avoir un support.
Laurent : c’est vrai que c’est plus facile maintenant avec internet que quand il fallait dupliquer des cassettes et les envoyer. Aujourd’hui, on met quatre morceaux sur un bandcamp, la personne peut écouter, elle a tous les éléments pour prendre sa décision.
Juju : un autre moyen, c’est les rencontres lors des concerts.
Vous trouvez que l’enregistrement est fidèle à ce que vous faites ?
Laurent : oui, je pense que l’enregistrement est très proche.
Juju : ça reste un premier album, forcément il y a des choses qu’on aurait sans doute pu mieux faire. C’est un album complètement autoproduit.
Stéphane : on sait que la prochaine fois, on refera différemment. On bossera certainement avec un label. Déjà, on ne se prendra pas la tête sur l’administratif et la distribution comme Laurent a pu se prendre la tête pour cet album.
Laurent : ceci dit, les échos ont été très positifs. Parce qu’il y a un retour à un son assez brut, c’est quelque chose qui plaît. Aujourd’hui, le son est arrivé à un tel niveau… En même temps, l’abum c’est bien mais un groupe, ça se voit en concert. Ça nous a fait plaisir d’enregistrer mais on n’a pas pris notre pied à le faire. Ça, c’est quand on joue en concert. Pas forcément sur des grosses scènes, jouer dans des bars, ça nous va. On n’aime pas tellement rester dans des loges. On va se poser un quart d’heure puis on va sortir prendre l’air, boire un coup, discuter . Ça s’appelle pas un groupe pour rien, c’est fait pour rencontrer d’autres gens, d’autres groupes… Ce qui est important c’est partager et pas uniquement sur une prestation musicale.
Juju : on a tous joué dans d’autres groupes pendant des années et on fait ça par passion. Ça nous est arrivé de refuser des plans parce qu’on le sentait pas. On a refusé une première partie parce qu’on ne kiffait pas le groupe, pour certains groupes ça paraîtrait improbable de refuser ce genre d’opportunité. Nous, on s’en fout. On préfère aller jouer au Bar de la Poste à Guéret parce qu’on sait qu’on sera bien reçus que faire des grosses scènes avec des gros groupes. On a plus envie de se faire plaisir sur une date que de chercher LA date qui va nous faire connaître.
Stéphane : On cherche avant tout à se faire plaisir. On a joué à Limoges avec les RNC’s, qui sont d’Orléans, ils sont venus ici, il y avait un peu de monde et ils étaient super contents. Alors que c’est un groupe qui a bourlingué, qui pourrait faire de plus grosses scènes, ils ont plusieurs albums et sans doute un carnet d’adresses assez rempli. C’est une très belle rencontre, on est restés en contact et on pourra partager d’autres scènes, à Limoges ou ailleurs. Il faut savoir aussi que ce n’est pas notre métier, on a tous un taf à côté et on ne cherche pas à en vivre. Surtout pas.