Nothing Lasts
Cet article est le numéro 4 sur 7 du dossier Limoges : bons baisers de la diagonale du vide

Nothing Lasts nous reçoit dans son local de répétition, au sous-sol d’une administration qui a déménagé vers d’autres lieux, plus modernes, plus fonctionnels. Sous les voûtes bétonnées qui ont abrité, en d’autres temps, les archives et leurs tonnes de papier, leurs bureaux au rebut et leurs chaises bancales, s’entassent aujourd’hui amplis, câbles et instruments. Le local est partagé entre plusieurs groupes. Normal. Le vase clos, ce n’est pas trop leur truc, aux Nothing Lasts. La pédanterie rock, non plus. Avec leurs petites mains, depuis 2013, ils fabriquent du punk-hardcore, largement influencé par la scène nord-américaine post années 90. Simple, rapide, efficace. Très efficace.

Ils ont sorti cette année un premier album, hautement recommandable, à la pochette soignée et signée par un graphiste plutôt doué et sont en tournée cet automne. Tout ça, fait maison et entre potes.

Le choix du nom est venu comment ?

Thomas : Ça a mis longtemps parce qu’on voulait que ça fasse l’unanimité. Le nom est arrivé assez tard, finalement. Les compos et le set étaient en place.

Lydie : je crois même qu’on a un peu boosté à cause d’un concert qui était déjà programmé.

Thomas : on a choisi « Nothing Lasts » parce qu’on trouvait que ça collait bien avec notre musique qui est rapide, les concerts sont assez courts. Il y avait l’idée de quelque chose d’éphémère. C’est aussi un clin d’oeil au titre d’un E.P. du groupe Punch qu’on aime bien et qui a, comme nous, un chant féminin.

Quels sont les projets en cours ?

Thomas : Nous sommes en train d’organiser une tournée pour fin octobre. C’est compliqué. L’idée est de trouver une première date puis de tisser autour, de voir ce qui est possible. On fait ça entièrement par nous-mêmes et on s’adresse à des gens qui font eux aussi par eux-mêmes, on bosse tous à côté et c’est difficile de trouver du temps mais on essaie de monter ça petit à petit. Les autres projets vont venir par eux-mêmes. On va essayer d’enregistrer quelques nouveaux titres et puis on verra.

La pochette de l’album est très belle. Qui en est l’auteur ?

Lydie : C’est Tony Da Rocha, il est sur Limoges. Tanguy le connaissait et nous l’a présenté. Il est venu nous voir répéter, il a bien accroché, il a voulu collaborer avec nous et ça a donné cette pochette d’album.

Thomas : il fait pas mal d’expos et la dernière s’appelait Le bestiaire doré. C’était dans le même esprit que la pochette de l’album et on aimait vraiment ce qu’il faisait. L’idée de cette pochette c’était qu’il y ait un partage entre un artiste qui venait de l’extérieur et nous. Nous voulions savoir comment il pouvait se représenter notre musique à travers le dessin. C’était une expérience intéressante de pouvoir échanger sur plusieurs supports.

Tanguy : on avait cette envie de bosser avec un artiste local, avoir la possibilité de développer un projet qui ne soit pas seulement musical mais aussi visuel. On voulait que ça lui plaise autant qu’à nous, pas passer commande, il fait partie du projet.

Qui écrit les paroles ?

Lydie : C’est Tanguy. On travaille sur un sujet commun, on échange des idées puis c’est lui qui le met en forme.

Tanguy : Et c’est toujours soumis à la validation de tout le monde.

Le titre « Music wastes our lives » m’a interpellée…

Tanguy : C’est du ressenti. Suite à une soirée, je me suis dit qu’on avait tous le même vécu. Quand tu es ado et que tu fais de la musique, on te conseille d’avoir d’autres priorités. Sans vouloir en vivre, je me suis plus concentré sur la musique que sur mes études et je me retrouve plus dans la démarche punk DIY que dans la vie professionnelle ou les études. Du coup, pour pas mal de gens ça paraît bizarre. Ce titre est un peu ironique, « la musique a gâché nos vies ». Ça raconte qu’on n’a pas des boulots de rêve mais ni plus ni moins que le copain d’à côté et la musique nous permis de rencontrer des gens cools, de voyager, de s’ouvrir à plein de choses… Finalement, pour nous, la richesse est là.

 Sur « Grudge » on sent l’influence de Comeback Kid.

Tanguy : sur les choeurs, c’est évident. C’est presque un hommage à ce groupe. Ce titre s’adresse aux gens qui vont aux concerts et pour qui c’est un lieu pour se défouler, pour oublier ses problèmes. On est dans une scène assez libre, on a des valeurs communes…

Lydie : … et ici personne ne les jugera, on partage la même chose.

Thomas : Get the Shot qui est passé plusieurs fois à Limoges avait dit un truc très juste là-dessus : « vous n’êtes pas là par hasard et nous non plus ». Si on est là, c’est parce qu’on a besoin d’exutoire, d’un moyen de s’exprimer parce que la société peut être violente, qu’elle nous apporte des frustrations. C’est aussi pour ça qu’on voulait jouer dans ce style-là, parce qu’il porte des valeurs engagées.

Tanguy : c’est un défouloir tout en recréant quelque chose, il ne s’agit pas de tout casser. On vient tous, à la base, d’une musique underground, du métal au punk et qui a un certain esprit…

Thomas : … un esprit d’alternative qui va au-delà de simple côté musical. On est conscients de jouer un style de musique pas forcément très consensuel. Mais derrière tout ça, il y a un message qui dénonce plein de choses et amène aussi à s’ouvrir. Pour nous, jouer ce style-là, ce n’est pas seulement faire de la musique. Ne serait-ce que par le côté DIY et de solidarité du hardcore

Vous évoquez le sujet de la violence dans Violence is Poison. Pour vous, la non-violence est une valeur du hardcore ?

Tanguy : cette chanson peut être analysée ainsi mais des titres comme ça laissent libre cours à l’imagination. Ça peut vouloir dire que dans cette scène-là, la violence n’a pas sa place. Ça n’engage que moi mais il y a certains comportements trop virilistes, trop violents, des danses qui sont excluants pour les gens qui veulent profiter de la musique différemment. Pour moi, c’est moins amical et solidaire qu’un pogo et c’est le même sujet que dans Grudge : la violence est faite pour être canalisée, que ce soit par la musique, par la danse ou par n’importe quoi mais quand elle n’est pas canalisée, c’est du poison. Dans ce titre, ça parle de quelqu’un qui ne se contrôle pas, à qui ça porte préjudice et qui ne le comprend pas.

Pour vous, être à Limoges, c’est plutôt un atout ou un handicap ? Ou la question ne se pose même pas ?

Tanguy : la question ne se pose pas vraiment. Les gens qui se plaignent sont des gens qui ne font rien. S’ils ont envie de quelque chose, qu’ils le fassent. On a voulu créer un groupe, on l’a fait. On a voulu imprimer des t-shirts, on a vu ce que ça coûtait par le chemin classique et on s’est dit qu’on allait le faire nous-mêmes. Pareil pour le cd, on n’avait pas de thunes, on l’a fait nous-mêmes. Au final, on n’en est pas peu fiers et ça montre qu’on peut faire plein de choses quand la volonté est là. Limoges est un exemple de ça. C’est clair qu’on est dans une région de vieux, que ce sont eux qui forment l’électorat, qu’il n’y a pas beaucoup de place pour les jeunes mais Limoges a su créer son alternative et le punk y est bien implanté. On a une scène qui perdure d’année en année, avec de nouveaux lieux qui se créent, comme El Doggo récemment.

Lydie : Ce qui m’agace un peu, c’est d’entendre des jugements très péjoratifs sur Limoges de la part de personnes qui ne sont jamais venues. Si tu leur demandes : « mais tu es déjà venu ? Tu as vu comment ça se passait ? Les soirées qui y sont organisées ? », la réponse c’est : « ah ben non, j’ai juste vu le panneau en allant quelque part ». Alors que quand on regarde ce qui se passe depuis plusieurs années, on se rend compte qu’il y a une scène à Limoges, que ce soit au niveau du punk ou du métal, du rap aussi. Il y a plein de groupes qui sont là, qui se démènent, qui bougent. On a des groupes qui sont partis jouer au Japon, d’autres qui montent des tournées européennes. Il y a des choses qui se passent à Limoges.

Thomas : Dans notre scène, localement, il se passe quelque chose. Mais partout, quand on se renseigne un peu, il se passe des choses. Même dans les coins les plus paumés.

Tanguy : il y a eu un article dans Technikart sur Guéret, écrit par une personne qui s’est juste arrêtée une après-midi et qui a jugé. Il s’est peut-être même arrêté au café de la Poste qui est un lieu plus qu’important à Guéret, qui organise des concerts, qui défraie les groupes très correctement, qui fait vivre la ville sans aucune subvention, juste parce que c’est un mec passionné de musique. Après, tout le monde s’en fout de ces articles. Personne ne cherche de reconnaissance à travers ces médias-là. Récemment, j’ai encore entendu qu’il ne se passait rien à Limoges parce qu’il n’y avait pas de SMAC, ce sont des salles de musiques actuelles, des mini-Zénith, subventionnés par l’État.

Thomas : on revient à notre idée de départ d’être dans une démarche alternative et quand on a cette démarche, on va au-delà des médias classiques et on se rend compte qu’à Limoges il se passe plein de trucs et qu’ailleurs, c’est pareil. En Creuse, dans des lieux que personne ne connaît, il se passe plein de trucs aussi. Comme partout en France.

Tanguy : dernièrement, on est allés jouer près de Millau, dans un des plus vieux squats de France, sur une colline. Il y a un chemin de randonnée qui passe juste devant, il faut finir en 4X4, personne ne se dirait qu’il y a quelque chose là et au final, c’est un haut-lieu de la musique dans ce coin. Donc si on cherche on trouve et si on ne trouve pas, on le crée.

Thomas : pour moi, être à Limoges ou ailleurs, ça ne veut rien dire. Je m’en fous, un territoire fermé, ça n’a pas de sens…

Tanguy : …on a plus le sentiment d’appartenance à une scène qu’à un territoire. Les gens qu’on côtoie dans les autres villes ne nous posent même pas la question.

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