I love Limoges Records
Cet article est le numéro 6 sur 7 du dossier Limoges : bons baisers de la diagonale du vide

Le label associatif I Love Limoges Records c’est une histoire banale et chouette, celle d’un gamin qui se retrouve à écouter ses potes jouer de la musique adolescente dans leur garage et qui, un peu par hasard et sans trop savoir comment, endosse le manteau de grand-prêtre de la logistique et de la rationnalité en terrain hostile, j’ai nommé le manager. « J’ai essayé de prendre du temps pour ça et de donner un coup de main », dit-il posément. Partant du principe que le musicien est là pour jouer, pas pour gérer, Chami a dépassé depuis longtemps le stade du coup de main et maintenant qu’il est grand et parvenu à l’âge de raison (si tant est qu’investir son temps libre dans le rock soit raisonnable), quand d’autres passent leurs nuits à jouer à Candy Crush, lui il produit des disques.

Au départ, il était manager du groupe The Lost Communists. Ne trouvant pas de label correspondant à leur projet, il en a fabriqué un. Et une fois que tu as fait chauffer la colle, c’est toujours pareil, tu te dis qu’il ne faut pas jeter. Dans le bouillonnement scénique limougeaud de la fin des années 2000, il croise le chemin de Jack Hero, groupe de jeunots fraîchement éclos et enthousiasmants avec leur rock garage franc du collier. Il leur fait enregistrer un 45 tours. Et puis le groupe passe (mais le vinyle reste).

Là-dessus, Fabien Bréart, qui jouait dans The Losts Communists, crée un one-man-band qu’avec pas mal d’autodérision il intitule « I am a band » et Chami produit l’album en 10 pouces. « Le format bâtard, tous les disquaires font la gueule et se demandent où ils vont le mettre », dixit le producteur, parfaitement impertubable (et sur son front, en lettres de feu clignotantes, il est écrit : si c’était à refaire, je referais tout pareil). Suivront les Crâne Angels avec un nouveau 10 pouces. Et Cold Cold Blood, un autre projet de Fabien Bréart. Et Adieu. Et tout récemment Escobar. Au final, un catalogue plutôt classieux et hétéroclite. La raison est simple, Chami fonctionne au coup de cœur musical beaucoup plus qu’au style. Sa limite n’est pas le ciel mais la scène : il faut que le groupe joue. Parce que vendre les disques d’un groupe qui ne monte pas sur scène, il paraît que ce n’est pas simple. Et Chami veut vendre les disques de son label pour en produire d’autres. Son rêve même pas secret serait de sortir une nouvelle galette tous les deux mois. Ce n’est pour l’instant pas accessible aux moyens financiers limités de I Love Limoges Records mais trois disques ont été produits en 2015, ce qui marque un net coup d’accélérateur dans les sorties.

D’autant que les exigences qualitatives du monsieur sont drastiques. Ne produisant que des vinyles, il fignole les pochettes (la prochaine production sera entièrement fabriquée maison, sérigraphie, pliage et découpage compris). Inutile de venir lui parler de CD, ce support « pourri et complètement obsolète », il aime l’objet vinyle autant que la musique qu’il contient. Tatillon sur l’aspect du produit, il l’est également sur le son et il confesse, avec un sourire absolument pas contrit, avoir vexé pas mal de musiciens en exprimant des avis tranchés voire tranchants. On ne grave pas n’importe quoi sur ses disques.

Cette recherche de la perfection un peu névrotique a un sens, celui de l’Histoire. Pour lui, l’essentiel est de garder une trace. Il ne se remettra sans doute jamais d’avoir vu des dizaines de bons groupes disparaître sans laisser aucun enregistrement derrière eux. « Sur le label, je n’ai peut-être pas les plus beaux disques du monde mais tous ces gens méritaient d’avoir une trace. Ça a fait ce que ça a fait mais au moins, il reste cette trace. » Parce que le futur n’est pas écrit, comme disait quelqu’un, « et tu ne peux pas savoir quel sera le destin d’un titre dans trente ans ». Un tube en rotation intensive pour danser, la bande-son d’une énième révolution mort-née, le mantra d’une secte en ligne ou le refuge sonore de quelques désespérés aux goûts désuets, ce que feront les générations suivantes des cailloux blancs laissés au bord du chemin n’est pas prévisible. Le tout étant de ne pas garder lesdits cailloux dans nos poches. Alors, même si Monsieur IloveLimogesRecords ne peut pas produire autant de groupes qu’il le voudrait, même s’il y aura toujours des gamins qui laissent l’éclair de génie de leurs dix-sept ans s’évanouir sans laisser d’adresse, il jalonne son passage de galettes colorées et sa quête du plus beau vinyle du monde continue. « Le meilleur disque est toujours le prochain ».

Site (et vous avez intérêt à y aller) : http://ilovelimogesrecords.com/

Henriette de Saint-Fiel

 

 

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