Lorsque vous discutez avec Rhyece O’Neill, blouson de cuir et chapeau sempiternellement vissé sur le crâne, le contraste est saisissant entre la stature et la force quasi-animale qu’il dégage et sa voix douce, presque enfantine.

Il l’est plus encore lorsqu’il est sur scène, en formation réduite à trois éléments ce soir au Black Star – Live Club, toute nouvelle salle de concerts/DJ sets club/bar (1) sise au 6 passage Thiéré dans le 11ème arrondissement de Paris, à deux pas de Bastille, puisque Tim Deane (guitare), Rick Studentt (basse) et Mark Sibson ont regagné leurs pénates australiens.

Le songwriter et guitariste australien n’est alors plus tout à fait le même. La voix est caverneuse (‘’deep’’ diraient les anglophones), les doigts virevoltent sur la Fender, la tension est palpable, l’ampli réglé au maximum du volume.

Ce qui semblera contrarier l’ingé son ce soir. Il est vrai que ce quartier de Paris, comme tant d’autres, est en voie de gentrification. La Mécanique Ondulatoire, au n°8 du passage, s’est définitivement tue il y a peu, contrainte de stopper sa programmation pour des problèmes de normes de sécurité, après une fermeture administrative pour nuisances sonores en 2010. ‘’Derrière tout cela, il y a une volonté claire de supprimer des lieux de fêtes atypiques’’ (2) selon Denis Quélard, gérant du Pop-In.

À ses côtés, la sublime et sexy Karli Jade, à qui l’on ferait une réelle offense si on la cantonnait à ces considérations esthétiques simplistes et masculines. Tout comme les Happy Mondays ne seraient pas le même groupe sans les gesticulations de Bez, tout comme Sleaford Mods perdrait de son intérêt sans la présence scénique de Andrew Fearn, le groupe de Melbourne serait orphelin sans Karli Jade (chant, tambourin). Au centre de la scène, elle amplifie le contraste déjà évoqué, ponctue de sa voix fine les intonations venues d’outre-tombe de Rhyece et répond par des déhanchés fluides et graciles aux assauts virils du rocker de l’outback.

Le troisième compère Liam Robert Wilkerson [sosie de Francis Lalanne jeune, mais sans cuissardes ! Selon une croyance populaire, nous aurions tous, à travers le monde, sept personnes nous ressemblant parfaitement. Il fallait bien briser l’anathème et découvrir un jour celui de l’ami Francis !], que l’on avait vu aux claviers lorsque les Narodniks étaient au complet en début de tournée, s’arroge brillamment la batterie avec un enthousiasme visible, tout en puissance et fluidité.

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Rhyece, sous ses apparences de géant du bush capable à lui seul de défier une horde de wombats rendus agressifs parce qu’on leur aurait bouché l’entrée de leur terrier (3), est un fin lettré, admirateur de W.H. Auden et Arthur Rimbaud. Nous échangeons sur la prestation hors du temps de Patti Smith, ‘’la fille de Rimbaud’’, à La Route du Rock le 18 août dernier. Avant de repartir en province pour les trois derniers concerts de la tournée, il me confie vouloir visiter la maison de Rimbaud, justement rachetée par la chanteuse américaine en 2017 (4).

À son retour à Melbourne, Rhyece retournera travailler pour quelque temps pour une entreprise du Bâtiment dans le désert, quittera la maison délabrée dans laquelle il vivait avant de venir en Europe et squattera son Dodge Van pendant quelques nuits, au milieu de ses seuls biens précieux : sa guitare et son ampli.

Après la sortie de ‘’Death Of A Gringo’’ le 10 juillet 2018, qui figurera en bonne place dans notre ‘’Bilan Top Albums’’ en fin d’année, Rhyece nous annonce la sortie prochaine d’un nouvel album, enregistré à Prague pendant la tournée.

Gageons que le groupe aura trouvé auprès du public européen et français une audience enthousiaste et bienveillante, qu’il dit ne pas avoir en Australie, comme cela fut le cas au Farmer à Lyon (le 6/09) et au Bistro des Tilleuls à Annecy (le 7/09), ‘’nos deux meilleurs concerts de la tournée’’.

A l’époque de la gentrification des grandes villes et de la difficulté des groupes dits ‘’underground’’ de trouver des dates – j’en veux pour preuve le message édifiant du talentueux Romain Humeau (ex-Eiffel) sur les réseaux sociaux ce week-end -, nous sommes très fiers à Songazine de défendre, avec quelques autres résistants passionnés, ce rock lettré qui devrait ‘’être la norme’’ en lieu et place de cette uniformisation déferlante – prônée dans d’autres domaines par McDonald’s et les GAFA – qui façonne les goûts de nos jeunes (et moins jeunes) générations pavloviennes.

Résistons ! Vive le rock !

Thank you guys for your awesome gigs. Love you so much ! Take care !

Alechinsky.

(1) Le Black Star – Live Club a ouvert le 7 septembre. (2) Extrait de l’article ‘’Le destin de la Mécanique Ondulatoire, symbole des difficultés des bars à concerts parisiens’’, par Jean-Baptiste Roch, publié dans Télérama le 8 janvier 2018. (3) Si vous souhaitez découvrir d’incroyables aventures où la faune humaine et animale du bush joue le premier rôle, nous ne saurions trop vous conseiller la lecture de  »La vengeance du wombat et autres histoires du bush » de Kenneth Cook. Merci à nos deux chroniqueuses Julia et Fanny pour ce conseil de lecture. (4) Située à Roche, près de Charleville-Mézières dans les Ardennes, où le poète a passé une grande partie de son enfance, et écrit ‘’Une saison en enfer’’. La maison reconstruite a été rachetée par Patti Smith en 2017.

 

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