Vous avez aimé Squid Game et Hellbound ? Vous n’aimerez probablement pas Move to Heaven dont la lenteur et la drôlerie mélancolique devraient vous exaspérer. Et vous aurez tort.

Si le monde a récemment découvert les séries sud-coréennes avec le succès planétaire de Squid Game, le royaume ermite (sobriquet donné par les missionnaires français à la péninsule coréenne au XIXe siècle. L’envie d’exporter sa culture à cette époque n’était pas flagrante), produit depuis le milieu des années 2010 des programmes télé de grande qualité, appelés un peu partout par leurs nombreux aficionados les k-dramas. L’Europe a probablement été le dernier continent à s’apercevoir que l’offre pléthorique des chaînes sud-coréennes est largement au niveau des productions américaines. Une fois intégrés les codes propres aux k-dramas, on peut s’embarquer pour quelques années de visionnage intensif sans craindre la pénurie de matière première. En évitant soigneusement les bandes-annonces, nullissimes pour la plupart et véritable talon d’Achille du genre.

Move to Heaven fait partie des bonnes surprises de l’année 2021 (là encore, le teaser est à la limite de la calomnie). Avec un casting plutôt modeste, le réalisateur Kim Sung-Ho, habitué du grand écran, signe sa première série télé. Le scénario est l’œuvre de Yoon Ji-Ryeon, à qui l’on doit la mythique et très kitsch série Boys over Flowers* qui a fait exploser les productions coréennes dans toute l’Asie. Et qui a très mal vieilli. J’aurais eu quelques préventions contre Move to Heaven si je m’étais auparavant enquis du passé de son autrice. Mais un drama qui annonce en acteur principal le trop rare Lee Je-Hoon n’a pas besoin de publicité.

D’autant que ce talentueux garçon s’était récemment commis dans une série ultraviolente que je laisse aux amateurs du genre. Pour l’insoutenable cruauté de l’être humain, j’ai déjà un abonnement au Monde, je vous remercie. L’immonde réel me suffit. La deuxième pioche de son année 2021 d’acteur était la bonne. Move to Heaven est une comédie mélancolique comme les Sud-coréens les font si bien : un peu de burlesque, un peu de mélo, beaucoup de chronique sociale et d’interrogation sur les rapports humains.

Tout juste sorti de prison avec sa coupe mulet et ses débardeurs de heavy metal directement importés des années 80, le peu recommandable Cho Sang-Gu reçoit l’héritage de son frère récemment décédé. La succession comprend une maison, un adolescent autiste, Han Geu-Ru, et une entreprise de « nettoyage post-traumatique ». À charge pour lui de s’occuper du jeune handicapé, tâche pour laquelle il se révèle aussi peu qualifié que mal intentionné. Ce repris de justice sans scrupule est surveillé de près par la jeune voisine, Yoon Na-Mu, camarade et admiratrice de Han Geu-Ru qu’elle adule autant que son oncle le méprise.

L’intérêt de Move to Heaven réside à la fois dans les relations de ces trois personnages formidablement interprétés – l’impressionnant Tang Joon-Sang et l’explosive Hong Seung-Hee, acteurs débutants, sont remarquables, tandis que le chevronné Lee Je-Hoon joue, comme prévu, toujours aussi juste – et dans le sujet. Le nettoyage post-traumatique consiste à nettoyer les logements de personnes décédées lorsque la famille ne veut pas s’en charger. L’entreprise reçue en héritage a pour particularité de le faire avec respect, un terme à la signification assez floue pour Cho Sang-Gu.

Cette courte série (10 épisodes) brosse le portrait de vivants souvent trop mesquins et égoïstes pour avoir une pensée pour leur parent décédé. L’idée n’est pas nouvelle dans les séries made in Korea, notamment dans les dramas de fantômes (on pense à Master’s sun ou Let’s fight Ghost) mais l’élégance et la pudeur avec laquelle cet aspect est ici traité forcent le respect. On soulignera également la réalisation impeccable et l’admirable travail sur les lumières qui font de cette jolie histoire une série techniquement très réussie.

Les habitués des k-dramas retrouveront leurs habitudes avec le classique gang d’affreux mafieux, les amoureux un peu ridicules mais attendrissants, les formidables personnages secondaires, les enfances piétinées, les femmes violentées, les héros discrets à la bienveillance salutaire, les individus broyés par le travail, la soumission à une hiérarchie sociale omniprésente et la violence d’un système obnubilé par l’argent.

Les néophytes découvriront ce qui rend si enthousiasmantes les séries que produit ce petit pays (et qui a fait le succès mondial du film Parasite) : un mélange des genres sans état d’âme ni posture et une équipe qui donne le meilleur, du premier au dernier rôle, de celle qui a écrit la première ligne du scénario à celui qui tient la perche micro au moment du clap de fin. Sans oublier la musicalité et la délicieuse rondeur de la langue coréenne, car Move to Heaven se regarde en VO sous-titrée, cela va sans dire.

Henriette de Saint-Fiel

Move to Heaven (2021) avec Lee Je-hoon, Tang Joon-sang, and Hong Seung-hee. Sur Netflix.

Teaser (raté, comme d’hab’) : https://www.youtube.com/watch?v=A-er_AJioOA

*Boys over Flowers : il s’agit ici de la version sud-coréenne de 2009. Il existe une tripotée d’adaptations dans différents pays asiatiques du manga japonais du même nom qui a paru de 1992 à 2004.

 

Share