Clément Cogitore a 34 ans. Il a suivi des études artistiques classiques et ses courts métrages ont été très vite remarqués et couronnés par divers prix. Il serait, d’après le très sérieux journal Le Monde « l’un des artistes français les plus en vue de sa génération ». Excusez-nous du peu.

Le krump est une danse urbaine née des émeutes de Los Angeles en 1992 et de leur violente répression. Les premiers danseurs exprimaient leur frustration et leur colère par des gestes saccadés qui mimaient le combat sur fond de musique rap. Cet exutoire est devenu un courant artistique avec ses codes, ses figures imposées et ses pères fondateurs. Puis il a traversé l’océan et a fait des émules en Europe.

Habitué des ambiances énigmatiques et des sujets un peu barrés, Clément Cogitore a imaginé de faire danser une troupe de krump sur une pièce des Indes galantes, chef-d’oeuvre de Rameau composé en 1735 et monument du classicisme français à l’emphase baroque. Alors qu’il avait d’abord pensé filmer les danseurs dans un des lieux où se déroulent habituellement leurs battles, le réalisateur a finalement parié sur la scène de l’Opéra Bastille dont il a pu disposer durant quelques heures. Le résultat est saisissant. Au point que ce très court-métrage d’à peine plus de cinq minutes a été choisi pour ouvrir la saison 2017-2018 de l’Opéra de Paris.

Si l’alliance des ornements de Rameau et de la brutalité crue du krump peut sembler déroutante, l’association fonctionne plutôt bien. D’abord parce que la puissance de « La danse du calumet de la paix » puisqu’il s’agit de cette pièce, a quelque chose de cathartique qui rejoint le krump aussi bien que le rock et toutes les expressions artistiques de la tension. Ensuite parce que Rameau l’a écrite sous l’influence directe d’un spectacle de danse tribale exécuté par des « sauvages » amenés d’Amérique du Nord pour divertir les Parisiens. Il a voulu traduire dans sa musique cette violence transformée en art qui l’avait fasciné. Trois cents ans plus tard, sa partition sert de support à la danse de la colère d’autres sauvages, ceux que repoussent nos centre-villes en espérant pouvoir les oublier. La boucle est bouclée. Et c’est une très belle boucle.

Henriette de Saint-Fiel

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