« A cette époque-là, c’était toujours fête » écrivait Cesare Pavese dans son roman La bella estate (Le bel été).

L’époque des festivals de l’été, comme autant de souvenirs que l’on se construit pour la suite, de remparts face au pilonnage du mainstream oppressant, d’abris salutaires contre la médiocrité despacitesque omniprésente, de fureurs et de déferlantes soniques face à la mièvrerie de l’auto-tune qui en rapporte beaucoup (de la thune).

C’est vrai qu’il aura débuté de manière lumineuse ce bel été. Non pas seulement grâce au ciel azur, l’anticyclone des Açores ayant décidé de sa villégiature au-dessus de nos contrées, ou à la seconde étoile (non filante) venue vivre en coloc’ sur un maillot bleu avec la première, qui commençait sérieusement à se morfondre après vingt ans de solitude.

Je me souviens de ce bel été et de la présence angélique et solaire de Malik Djoudi, au détour d’une interview lors du Biches festival, au milieu du bocage ornais. Un moment suspendu, intense en émotions. Des mots dits avec douceur mais qui fusent, sans préméditation, directs, sortis des tripes : « Être sur scène ? J’ai l’impression d’être vivant ».

« Les douceurs et les frissons sont réservés aux âmes subtiles » disait Friedrich Nietzsche dans Par-delà bien et mal (1886). Malik Djoudi en est une.

Un souvenir inoubliable, ancré dans le subconscient pour l’éternité, que l’on sait là si nécessaire, comme une assurance à tout.

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Je me souviens de ce bel été, de la brillance talentueuse du desert blues/outlaw country de Rhyece O’Neill and the Narodniks, du post-punk énervé de Bench Press, du rock psyché transalpin de Big Mountain County et du blues-rock à la portée séminale de Mark Porkshop Holder lors du Binic Folks Blues Festival fin juillet.

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Je me souviens de ce bel été à la Route du Rock, au Fort St-Père près des dunes, en surplomb de l’isthme de Châteauneuf, illuminé par l’icône pop Daho, impérial, moderne, si essentiel. Pieds nus sous la lune, c’est l’heure des folies permises, enfin, c’est la fête, c’est psychadélique. Dum di la, je m’étourdis…

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Je me souviens de ce bel été au même endroit, lorsque Patti Smith sort des contreforts de la poudrière, dans lesquels sont installées les loges, en ce samedi 18 août à 21h15. Un endroit prémonitoire avant de faire exploser de bonheur le public venu parfois de (très) loin pour voir la « fille de Rimbaud » (*), ex-prêtresse du punk, poétesse, peintre, photographe, artiste totale.

Elle arrive sur la scène, radieuse, le visage lumineux, sous l’ovation du public venu en nombre.

À 71 ans, celle qui cite Baudelaire, Rimbaud et Jackson Pollock parmi ses influences les plus marquantes, est heureuse et libre. Rayonnante. Inspirante. Une impression subtile et forte émane d’elle, comme un souffle imperceptible, une aura, mélange immatériel de sérénité, d’énergie et de force vitale démesurée, qui marquera les esprits. Admiration. Respect. Patti Smith n’a pas 71 ans.

Les frissons sont immédiats lorsqu’elle entonne Gloria, un grand classique du rock construit sur trois accords, créé par Van Morrison fin 1964 pour son groupe Them. Puis Because The Night, chanson écrite en une nuit en pensant à Fred ‘’Sonic’’ Smith, son futur mari (elle l’épousera en mars 1980), ancien guitariste des légendaires MC5 (groupe précurseur du punk rock et du hard rock) et père de Jackson Frederick qui l’accompagne à la guitare désormais.

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Elle stoppe Dancing Barefoot après plus d’une minute, car « Je ne suis pas dans le tempo de la chanson » dit-elle. « Elle fait ça à chaque fois » me préviennent Julia et Fanny, pas dupes, « C’est son truc ». En plus d’être libre, Patti Smith serait-elle facétieuse ? On n’en doute pas un seul instant lorsqu’un large sourire et des regards complices s’instaurent avec ses musiciens.

Beds are burning, chanson politique réclamant la restitution de leurs terres natales aux aborigènes Pintupi, reprise de Midnight Oil, nous rappelle qu’elle a toujours été engagée sur plusieurs fronts (la lutte contre le réchauffement climatique, soutien de causes politiques multiples).

Elle rend hommage au passage à la grande Aretha Franklin avant de reprendre Can’t Help Falling In Love du King Elvis.

Patti Smith exhorte les jeunes générations à « faire tout leur possible pour sauver notre planète « et à tous, jeunes ou vieux, à œuvrer collectivement, avant d’entamer l’hymne People Have the Power. C’est à ce moment qu’une bouffée d’émotions envahit sans prévenir le chroniqueur rock. J’ai soudainement l’impression « d’être vivant » moi aussi.

Je me souviendrai longtemps de ce bel été sans fin.

A Fabien, Fanny, Julia, Stéphane et Sylvain

Alechinsky.

(*) Étienne Éthaire, « Patti Smith, fille de Rimbaud », éditions Camion Blanc (décembre 2010)

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