Steven Wilson
Cet article est le numéro 7 sur 8 du dossier Dossier Steven Wilson

Janvier 2015, Songazine traverse les rues de Paris pour rencontrer Steven Wilson, le musicien anglais multi-instrumentaliste, artisan d’albums concept et considéré comme un génie par beaucoup. Dans nos esprits et nos oreilles, son nouvel album et concept multimédia Hand. Cannot. Erase. Dans ses mains, une tasse de thé, bien évidemment ! Mais également une énergie fascinante et une volonté de partager son amour de l’art et sa passion de la musique.

– A la sortie de ton dernier album, The Raven That Refused To Sing, tu avouais te sentir à ton plus haut niveau de créativité, comment tu te sens maintenant ?

Steven Wilson : Encore plus haut ! (rires) Non sérieusement ! Je pensais que ça serait tellement difficile, un album difficile à suivre parce que j’en étais si fier, c’était un album très bien perçu par la critique. Mais je pense que la solution a été de faire quelque chose d’assez différent, et de ne pas essayer de réutiliser la même “formule”, je ne sais pas comment l’appeler. Je ne voulais pas faire “l’épisode 2″ de The Raven. Ca m’a permis, je ne dirais pas de faire mieux que l’album précédent, mais quelque chose qui est, en tout cas pour moi, tout aussi satisfaisant. Cet album est vraiment très satisfaisant pour moi.

– Qu’est-ce que tu aimes le plus dans cet album ?

SW : Oulah ! J’aime le fait que c’est pour moi un album très varié. On pourrait dire que Raven était assez homogène dans le ton et dans le style. Cet album pas du tout. Il a plein de choses, depuis la musique électronique en passant par des longs morceaux de rock progressif, de la guitare pop, des ballades, des thèmes au piano, du sound design… Tout est dedans. Un peu de jazz, de riffs death metal… Et c’est pas évident, de mélanger tous ces éléments musicaux ensemble, s’assurer que ça semble cohérent. Je pense que j’ai réussi à le faire. Une des choses dans lesquelles j’ai confiance après toutes ces années c’est le fait que je sais que tout ce que je fais aura mon style au final. C’est une confiance que j’ai acquise, et le plus tu travailles le plus tu réalise que tu peux reprendre des idées d’autres groupes et d’autres artistes et ça ne pose pas de souci parce que ça aura ton style une fois que ton album sera fini. En tout cas je suis super fier du fait qu’il y a cette grande variété.

– C’est aussi la première fois que tu as travaillé avec une chanteuse féminine et une chorale d’enfants.

SW : Oui, pas en tant que chanteuse principale, j’ai déjà eu des chanteuses en choeurs ou en fond mais partager le chant avec quelqu’un était vraiment quelque chose de nouveau pour moi. Mais c’est aussi une des choses qui rend l’album différent. A chaque fois je me fixe un nouveau challenge. Je n’avais d’ailleurs jamais écrit non plus en prenant le point de vue d’une femme.

– Pour ceux qui ne savent pas, vous avez utilisé une chanteuse et un point de vue féminin parce que l’opus a été inspiré par l’histoire de Joyce Vincent, une anglaise dont le corps a été trouvé dans un appartement londonien. Elle était morte depuis presque trois ans quand elle a été retrouvée. (Pour plus d’infos sur cette histoire, nous vous invitons à regarder le documentaire Dreams of a Life de Carol Morley). En tout cas c’est fascinant de voir comment tu as réussi à utiliser ce fait divers et en fait un concept très fort et très personnel, sans aucun rapport avec une biographie ou quelque chose de ce genre.

SW : J’ai utilisé le personnage de quelqu’un qui serait une sorte de Joyce Vincent. Mais je l’ai utilisée comme un vecteur dans lequel j’ai projeté ma propre autobiographie. Beaucoup d’images et d’expériences sont en fait les miennes. On pourrait penser que comme c’est un personnage féminin ça ne devrait pas fonctionner, mais on a tous une expérience humaine commune et on comprend tous les problèmes de relations amoureuses, la perte d’êtres chers, la nostalgie de l’enfance, toutes ces choses sont universelles. Si tu veux que ton auditeur croit en ton personnage, il faut investir ce personnage avec des vraies émotions, des vraies expériences. Pour moi, l’analogie parfaite se trouve dans Blade Runner, où les robots ont ces souvenirs, implantés à partir des humains qui les ont créé. C’est vraiment ce que je fais aussi.

– Dans ton concept, particulièrement dans les paroles et le blog  (http://handcannoterase.com/), il y a beaucoup de choses subtiles, entre les lignes, comme dans Blade Runner d’ailleurs. Quand on lit le blog, on pense lire une biographie, une histoire vraie, et finalement avec des petits détails et des subtilités d’écriture on se rend compte qu’il y a bien plus qu’il n’y parait, lorgnant même parfois du côté du fantastique, de l’horreur…

SW : Oui, c’est volontairement ambigu, mais j’adore faire ça. Et évidemment il y a des petites choses ici et là, mais est-ce que c’est juste son esprit qui divague ? Est-ce son délire ? Le problème c’est que bien évidemment on n’a que son point de vue à elle ! J’aime cette ambiguïté. Je n’ai jamais aimé la mentalité d’Hollywood ou il faut toujours tout expliquer et comme par hasard tout se révèle clairement dans la dernière scène du film, parce que la vie c’est vraiment pas comme ça ! (rires) J’ai glissé pas mal d’indices mais ils ne sont pas tous expliqués ou résolus.

–     Ton histoire est assez proche du concept d’Inquiétante étrangeté tel que Freud l’a défini et ce que tu as créé, même d’un point de vue purement littéraire, est vraiment intéressant.

SW : En fait tu sais, d’une certaine façon je suis un réalisateur frustré. Il se trouve que je fais de la musique mais je pense à la musique d’une façon très cinématographique. Mais pour moi c’est assez logique de penser que si tu as une sensibilité créative, ça ne soit pas limité à une forme de pratique artistique. Mais comme beaucoup de musiciens j’ai des ambitions dans le monde du cinéma, j’aimerais être un écrivain publié et tout ça… Au final, je pense que tout ça ajoute quelque chose à l’expérience qu’on peut faire de l’album. Ca en fait quelque chose d’autre que simplement un album de pop.

– Et cet album n’est pas juste une histoire, à la différence peut-être de The Raven, on a l’impression que c’est beaucoup plus sur le fond de l’histoire, la société dans laquelle nous vivons, une dystopie, une perte de l’individu…

SW : Oui, je trouve ça fascinant de voir que le monde dans lequel on vit est complètement différent de celui dans lequel j’ai grandi, et c’était il n’y a pas si longtemps ! (rires) La technologie évolue à une vitesse hallucinante. Même dans les dix dernières années. Même la télévision était considérée comme une nouveauté, à l’époque pour un enfant avoir une télévision dans sa chambre c’était absurde ! Maintenant, on est là, 25 ans après mon adolescence… Ou un peu plus en fait (rires) Hum… Et les enfants, non seulement ils ont une télévision, ils ont aussi une connexion internet, ils ont un téléphone portable, ils ont tout cet environnement et au final, c’est discutable mais ils n’ont plus vraiment aucun intérêt à sortir de leur chambre. Est-ce que c’est une bonne chose ? Non. Je ne pense pas que ça soit une bonne chose. On a ce truc qu’on appelle “réseaux sociaux”, je pense que c’est du réseau anti-social. Parce qu’en fait ce qu’ils encouragent c’est une déconnexion des interactions humaines. Ça vous donne l’opportunité de communiquer avec vos amis, “amis”, via Facebook, via les SMS, Twitter, peu importe en fait. Donc on a cette situation ou les enfants ne communiquent plus par les mots mais en jouant à des jeux vidéo interactifs sur l’ordinateur. Ce n’est pas le but de l’être humain. Pour moi en tout cas. Je pense que si vous êtes quelqu’un qui réfléchit un peu au monde dans lequel il vit, comme chaque artiste à mon sens, c’est difficile de ne pas se sentir confus, paranoïaque, inquiet… Et aussi de se dire “je veux juste m’enfuir loin de tout ça”. Et je pense que chacun peut ressentir ce moment où on se dit “tu sais quoi, je vais juste m’enfermer complètement dans ma maison, je ne veux plus rien avoir à faire avec le monde parce qu’il me fait peur”. Dans un sens c’est presque un devoir d’écrire à propos de ces choses-là. Comme je disais tout à l’heure j’utilise mon personnage comme un vecteur pour parler de ces choses. Tu parlais de dystopie, est-on déjà en train de vivre dans une dystopie ? C’est une vraie question. Dans certains aspects, c’est déjà le cas. C’est super inquiétant ! Mais tu as raison de dire que The Raven That Refused To Sing étaient surtout des histoires, placées dans une autre époque, alors que cet album est beaucoup plus contemporain, parle vraiment de ce que je vois quand je regarde à ma fenêtre, quand je vais en tournée.

– Il semble plus personnel, musicalement, aussi.

SW : C’est intéressant. D’une certaine manière tout ce que je fais est personnel, mais The Raven était une réponse à la mort de mon père. C’est la part qui aurait pu être plus personnelle. Mais je suppose que cet album est aussi personnel avec cependant une résonance plus universelle. On peut ressentir une empathie avec le thème, parce que ça ressemble beaucoup plus à quelque chose que chacun peut ressentir. En ce sens il est moins fermé et plus universel. Peut-être.

– Et comment ton groupe l’a accueilli ?

SW : Cet album est aussi plus proche de ce que j’appellerais un album studio. Il y a eu plus de post-production, plus d’arrangements, de manipulation des sons… Pour essayer de créer cette diversité dans la musique mais aussi cette sensation d’électronique et de technologie. Alors que l’album d’avant c’était plutôt six mecs jouant dans un studio avec très peu de manipulation du son. Mais c’était intéressant aussi de pousser les musiciens en dehors de leur zone de confort, et j’aime faire ça. Je les connais maintenant très bien, donc je pense qu’on a une confiance réciproque.

– Et concernant ton chant ?

SW : J’enregistre quasiment systématiquement mon chant principal pour une chanson dans la même heure à laquelle je l’ai écrite. Ce qu’on entend sur l’album est très rarement quelque chose sur lequel je suis revenu. Je crois que quand tu viens d’écrire un morceau c’est le moment où tu es le proche de lui en terme de lien émotionnel. A ce moment-là tu as la plus grande affinité avec les mots que tu as écrit. J’ai appris avec le temps que quand j’enregistre mes voix, ce qu’on appelle une “voix démo”, quasiment à chaque fois je n’arrivais pas à faire mieux après coup. Six mois après tu es complètement ailleurs, comment peux-tu revenir en arrière et espérer chanter avec la même sensation, le même état d’esprit.

– Au regard de la scène prog tu es souvent considéré comme une référence, parfois on parle même de génie musical et beaucoup de gens, comme nous à Songazine, on grandi en écoutant tes albums et ensuite les classiques des seventies. Tu deviens de plus en plus universel et on pense à Songazine que les gens te verront comme un des musiciens les plus influents de ton époque. Donc, dernière question, es-tu prêt à faire face ?

SW: (long silence, il éclate de rire) Bon. En fait, je suis toujours très flatté quand quelqu’un pense que… En quelque sorte… (il réfléchit) Okay, je recommence ! (rires) Je suis conscient que certaines personnes me voient comme une sorte d’espoir pour la musique progressive, pour peut-être la sortir d’un certain carcan, alors qu’elle a été dans l’ombre depuis très longtemps. Je suis conscient que pour certaines personnes je suis la personne la plus à même de faire ce pont vers le mainstream, d’ouvrir grand la porte… J’adorerais être cette personne. Mais… (il réfléchit). Je pense que j’en suis conscient, de ce que tu dis, mais je crois que je dois ne pas y prêter attention. Est-ce que ça parait logique ? Je dois ne pas y prêter attention parce que ce n’est pas quelque chose que je veux porter en permanence ! (rires) J’aime juste faire des albums, je me sens très privilégié d’avoir la possibilité de le faire, surtout que ce ne sont pas des albums faciles à vendre. Mais je m’en sors pas trop mal en fait… (rires) Et… En fait, tu sais, je suis complètement égoïste dans ma façon de faire de la musique et je crois que pour moi c’est la définition d’un artiste. On ne viendra pas me dire que Picasso peignait des tableaux pour faire plaisir aux autres, ce n’était pas le cas. Il peignait pour lui-même et il s’est trouvé que les gens aimaient ses toiles. Pas que je me compare à Picasso (rires) mais d’une certaine manière j’ai la même philosophie qui est que je ne peux que faire des albums pour me faire plaisir et j’ai été chanceux jusqu’à présent parce que les gens se sont sentis un lien avec eux. Et si ça continue à se passer comme ça et si les gens me voient comme une sorte de personnage musical influent alors c’est vraiment juste parce que je fais tout ça avec passion. Et je continuerais d’être passionné à propos de la musique et des groupes que j’aime. J’ai une playlist sur mon site (Note : par ici http://stevenwilsonhq.com/sw/playlist-archive/) et je sais que les gens la regardent… Je suis très heureux d’être cette personne, de dire “vous devriez voir ce film, écouter ci ou ça parce que c’est excellent” et qu’ensuite les gens disent “Oh ! C’est Steven Wilson qui l’a dit, ça doit être excellent !” (rires) Ensuite ils écoutent et ils trouvent ça horrible ! (rires) Si les gens me voient comme une sorte de guide, c’est bien, j’avais des guides comme ça quand j’étais plus jeune donc… Mentor, je pense que c’est comme ça qu’on dirait plutôt, non ? Mais en fait c’est pas quelque chose auquel je veux penser… (rires)

• Songazine aimerait remercier chaleureusement Roger de Replica Records et bien sûr Steven Wilson, pour son honnêteté, sa gentillesse et pour l’inspiration qu’il met dans tout ce qu’il fait. Si vous voulez en savoir plus sur le nouvel album, vous pouvez visiter :

http://stevenwilsonhq.com/ son site officiel

http://handcannoterase.com/ le blog contenant l’histoire de l’album

http://www.kscopemusic.com/artists/stevenwilson/ sa page sur son label Kscope avec le dernier clip et plein d’infos

https://www.facebook.com/StevenWilsonHQ sa page sur le réseau anti-social

Hédia et SL

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