Elle arpente les rues de Londres. Qui sait ce qu’elle a en tête ? Tout le monde sait qui elle est. Personne ne la connait.
La première fois que je l’ai vue, avec ses grands yeux noirs interrogateurs, presque provocants, je l’ai trouvée séduisante. Nous nous sommes revus plusieurs fois dans le pub où j’avais mes habitudes. On se fixait pendant ce qui me semblait être des heures. Mais on ne s’est jamais parlé.
Un jour, alors que je marchais dans une rue, j’ai senti sa présence dans mon dos. Je me suis retourné, cherchant du regard la masse de cheveux sombres, les lèvres charnues, les yeux noirs. Ou même la petite silhouette. J’ai fouillé chaque recoin de la rue du regard. Une fenêtre sur la droite. Le rideau a bougé, j’ai pensé que c’était elle.
Et puis c’est arrivé d’autres fois. Au supermarché, de nouveau dans la rue. Une fois même au cinéma. J’ai eu l’impression qu’elle était assise à quelques rangs de moi. Je ne la voyais pas dans la pénombre de la salle mais je savais qu’elle était là, quelque part. C’est là que j’ai compris qu’elle me suivait.
Je me suis demandé pourquoi. J’ai eu beau retourner le problème dans tous les sens, je n’ai jamais eu de réponse.
Un soir pourtant, une nuit de décembre, dans l’obscurité de mon appartement, éclairé faiblement par l’écran bleuté de mon ordinateur, elle est enfin venue à moi. Trois petits coups frappés à la porte, presque inaudibles.
Une peur irraisonnée m’a saisi, et, l’espace d’un instant, j’ai envisagé de ne pas aller ouvrir. Mais je savais qu’elle serait là ce soir, qu’elle était réelle et qu’il était temps qu’on se rencontre.
C’était bien elle derrière la porte. Faible sourire, un peu gêné. Grosses boucles noires. Yeux tristes. J’ai ouvert plus grand pour la laisser passer. Elle a enlevé son manteau. M’a observé sans rien dire pendant que je déconnectais mon ordinateur.
Elle s’est penchée vers moi. Sa main glacée posée délicatement sur mon avant-bras. Son visage s’est approché du mien. J’ai tendu mon oreille et elle m’a chuchoté son nom.
J’ai été frappé par mon reflet dans l’écran noir du PC. Hagard. Les yeux rougis. Le silence de l’appartement. Ce silence.
Je suis seul.