Tout a commencé au festival de Binic fin juillet et on n’a rien vu venir…
C’était un samedi après-midi. Au-dessus de nos têtes, le ciel bleu était tailladé de nuages noirs. Sur la scène, une apparition, chemisette largement ouverte, tatouages sur les bras, pas vraiment rasé de près, lunettes de vue, le pas mal assuré : Geoff Corbett, chanteur et compositeur de Shifting Sands, entrait en scène pour présenter Beach Coma sorti chez (Best!!!) Beast Records.
L’écrivain australien Steve Toltz résume, avec le titre de son dernier roman à l’humour noir, tout le sens de ce disque : Vivant, où est ta victoire? Rester debout donc, à tout prix même si la chute est proche. Et là j’ai rien vu venir…
Alors je suis retourné à la Cantine Ephémère à Saint-Brieuc ce dimanche 6 août, pour la dernière date du groupe avant qu’il ne regagne Brisbane, côte est australienne.
Le contraste était toujours aussi saisissant. Si Jean Cocteau n’avait pas choisi Jean Marais pour le rôle de la bête, Geoff Corbett, voix caverneuse et inquiétante, mais le corps presque apaisé, très loin du personnage qui éructe avec son frère Ben dans leur projet commun : Six Ft Hick, aurait fait l’affaire. Et pour remplacer la belle : Josette Day, Izadora, délicieuse nymphe à la voix de velours, au clavier et aux choeurs, qui rappelle par son timbre, Julee Cruise ou un autre Cocteau : Elisabeth Frazer de Cocteau Twins.
La force de leur musique se mêle dans une ambiance acoustique, ballades calmes et lumineuses mais empruntant parfois des détours plus sombres, comme pour la chanson Other girls qui aurait pu être dans la bande son du film dérangé Love Hunters d’un autre australien Ben Young (lorgnant sur l’univers d’un David Lynch mais moins onirique).
Naissance de l’amour, lutte avec l’existence, femmes et hommes à la recherche d’un horizon plus grand qu’eux-mêmes et qui pourrait les mener vers une renaissance, une rédemption ou une irréversible disparition.
La voix d’Izadora élève ce que Geoff Corbett est sensé engloutir bien profond dans la terre ou les océans, comme pour soutenir ce qui va s’effondrer, couler. Le meilleur exemple étant le morceau Girl in the sinking canoe. Elle préserve les âmes. Avec lui les corps sombrent.
Ces mélodies si simples, comme une composition d’Erik Satie, que vous pensiez vite oublier, vous rattrape d’un coup; cette vague à rebours vous saisit et vous emporte doucement dans cette saudade australe, le flot tout entier vous emporte…pour ne plus jamais revenir, à la dérive, à jamais…
Je vous avais prévenu : vous n’avez rien vu venir.
Szamanka