Le songwriter folk Raoul Vignal, lyonnais de 26 ans, est la dernière signature du label bordelais Talitres ; son 1er album ‘’The Silver Veil’’ sort le 7 avril 2017.
Nous l’avons rencontré début mars dans un bar lyonnais du 1er arrondissement, à deux pas du parvis de l’Opéra, pour en savoir plus sur son parcours, sa période berlinoise, le processus créatif… une discussion passionnante et enrichissante. Une personnalité attachante et déterminée.
Raoul, parle-nous de tes débuts ? Comment es-tu venu à la musique ?
Par mon père qui est un musicien multi-instrumentiste (guitare, piano, etc.). Il a eu plusieurs groupes dans sa vie, qui jouaient un répertoire à destination d’un public jeune. Il a beaucoup joué dans les écoles. A côté de tous ces projets, il a été professeur de flûte traversière au Conservatoire.
A force de grandir avec ce fond musical, quand j’ai eu l’âge de demander ma première guitare, ça s’est fait (à 14 ans) ; j’ai pris des cours et après 3 mois, je n’avais pas assez de patience, j’ai laissé tomber pendant un an jusqu’au jour où je l’ai ressorti de sa housse ; et là c’est mon père qui a été mon vrai 1er professeur, c’est lui qui m’a initié aux accords et m’a montré les bases du jeu. C’est vraiment à partir de ce moment que tout est parti.
Mon 1er groupe, c’était un duo avec un pote (Etienne) qui jouait du yukulélé ; on faisait des reprises des Beatles. J’ai monté un groupe de rock au lycée, de punk à la fac puis j’ai découvert d’autres univers musicaux, toujours sur fonds de guitare.
J’en suis arrivé à ce projet solo, aux antipodes de ce que je faisais en groupe et au final, c’est ce que j’approfondis le plus maintenant.
Quelles sont justement tes influences ?
En termes de musique folk US et anglais, notamment des guitaristes tels que Davey Graham, Bert Jansch et John Renbourn. Des piliers du British Folk des sixties. Mouvement Folk Revival ; ils jouaient le répertoire traditionnel folk anglais ou irlandais mais avec des techniques de guitare plus poussées. Ils ont redécouvert le patrimoine tout en améliorant la technique instrumentiste.
En mettant la guitare au centre du jeu, en en faisant un instrument ultra polyvalent.
Le folk revêt plusieurs styles. Folk par rapport au style de guitare ou au background musical. on peut parler de folk traditionnel, les 1ers albums de Bob Dylan.
Pas mal d’artistes dans la veine de ce que je fais se définissent comme ‘’modern folk’’.
Folk parce que joué sur une guitare folk, aspect très calme, fait appel à des techniques de jeu au doigt. Pour l’ambiance que ça crée, le contenu.
Je fais de la folk. Difficile à expliquer…
Tu utilises la technique du finger-picking ; d’où vient-elle et quel est son rendu ?
Je l’ai apprise au « cours de guitare folk et guitare US », grâce à un professeur de l’ENM Villeurbanne (Olivier Lataste) ; c’est lui qui m’a fait dépoussiérer le blues et le jeu au doigt. Ce style de jeu est à la base de mon jeu de guitare. Ses origines sont lointaines : c’est une forme de jeu qui s’appliquait autant dans le blues que dans le ragtime, un dérivé du jazz ; la guitare devient un orchestre dans le sens où chaque doigt de la main droite va avoir une fonction précise : le pouce pour les lignes de basse, les autres doigts combinent mélodies et accompagnements. Avec tous ces éléments, on peut créer un rythme qui pourrait rappeler un groupe ; on a un rythme qui s’installe.
Il y a quelque chose de l’ordre de la répétition qui fait ressortir le coffre de la guitare avec tous ces accords ouverts ; les notes commencent à résonner ; ce ne sont plus seulement les notes que je joue mais il y a aussi les notes qui se créent, grâce à l’instrument, la manière dont il est fait ; c’est à ça que sert ce côté très mécanique et répétitif à la main droite. C’est vraiment ce que j’apprécie dans ce jeu.
Comment procèdes-tu pour composer ?
90% des morceaux sont issus de la partie guitare, auxquels s’ajoutent la mélodie et la ligne mélodique. Ce sont des morceaux que j’ai composé dans ma chambre à 3h du mat ; ça doit se ressentir. Ma musique est celle de la nuit, calme. Elle relève de l’intérieur et reflète ma personnalité.
On ne saurait dissocier ta musique du songwriting… Comment tout cela prend forme ? Tu as fait le choix d’écrire en anglais. Pourquoi ?
Je n’ai pas nécessairement de lignes directrices. Je vais adorer lire Camus, pour son sens de la phrase, comme Bukowski, pour ses formules directes.
J’ai étudié l’anglais jusqu’à la licence, jusqu’à ce que je réalise que les autres autour de moi voulaient être profs ; ce qui n’était pas vraiment mon but (rires). J’ai ensuite enchaîné sur le Conservatoire.
J’ai toujours aimé parler, lire et écrire en anglais.
J’écris la partie guitare, je mets une mélodie dessus ; par rapport à cette ligne mélodique et l’ambiance du morceau, j’ai envie que les sons de voix aillent plus vers des « a », des « o », des « i »… et pour le coup, l’anglais est une langue très musicale ; avec très peu de mots, on peut dire beaucoup et la sonorité est toujours très malléable. Contrairement au français où il y a beaucoup de consonnes qui donnent l’impression de stopper un mouvement fluide.
Ecrire en français demande du temps.
L’ambiance détermine les sons et les mots. L’anglais permet des sonorités très malléables.
Mon lexique n’est pas très étendu, il tourne autour des thèmes de la lumière, de l’ombre, du ciel, de la Terre, des émotions, des yeux, du regard, du cœur. Tous ces mots sont beaux parce qu’ils ‘’sonnent’’ et sont fluides.
Je calque plus facilement un texte en anglais qu’un texte en français sur les mélodies. Les sons en anglais sont plus ronds. Il y a peu de mots, c’est plus direct.
Fin 2013, tu pars à Berlin ?
Oui, j’y rejoins un ami, Pierre-Hugues Hadacek, qui y habitait depuis un an. Il est aussi musicien et travaille toujours dans le studio d’enregistrement Klangbild.
Comment as-tu vécu cette période berlinoise qui aura duré deux années ?
Berlin est une ville où tu as beaucoup de distractions. J’ai beaucoup joué dans les bars, les dates s’enchaînent facilement, et ça été pour moi très formateur car ça m’a permis d’être à l’aise sur scène. Les bars sont des endroits où le public n’est pas forcément très réceptif. Ça m’a poussé à me renfermer sur moi-même et à me mettre dans ma musique.
Berlin est très cosmopolite, ce qui favorise les rencontres artistiques avec des musiciens d’un peu partout.
C’est une ville très agréable, mais à double tranchant. C’est une ville de passage où il est parfois compliqué d’élaborer un projet qui soit viable sur la durée. Ville basée sur les loisirs, il y a toute une jeunesse certes très agréable à vivre, mais si on a du mal à se cadrer soi-même, ce n’est pas l’endroit où l’on sera le plus productif.
Pendant cette période, tu as déjà sorti plusieurs EP ?
Oui, mais j’ai depuis supprimé les deux premiers d’internet car je n’en suis plus très fier. Le 3ème EP 4 titres, intitulé ‘’3’’, enregistré en prise directe au studio Klangbild, est une première mouture de ce qui allait se passer sur l’album ; je me suis petit à petit éloigné du blues pour aller vers un son folk.
Tu as également composé début 2015 une bande son pour un film d’auteur, ‘’Sweet Water Of Memory’’, de Carlos Vin Lopes ?
Oui, un album instrumental de guitares ambient. Un ami en école de cinéma à Berlin m’avait demandé de composer cette BO pour son projet de fin d’année. Certains titres de mes premiers EP s’étaient déjà retrouvés sur des courts-métrages mais c’était la 1ère fois que j’écrivais pour un film. Ça cadre la création. C’est un exercice que j’aimerais bien refaire, j’aime bien cette relation audio/vidéo.
…/… Fin de la première partie de l’interview
Alechinsky