C’est avec joie et fierté que nous accueillons à nouveau dans nos colonnes la plume de Pedro Peñas Robles.

Passionné, engagé, musicien, DJ, à la tête de labels qui ont du cœur et du cran, nous le suivons avec plaisir et fidélité (tiens, c’est compatible ? 😉 ).

Il nous livre ici un formidable live report d’un festival plein de fureur, de beats et de sens, où la musique qu’il aime, que nous aimons, a déployé ses ailes sombres et belles.

Tanz der Mussolini !

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Nous voilà infiniment heureux de nous rendre avec des amis deux jours à Barcelone, à l’occasion de la seconde édition d’un nouveau festival dont le line up incroyable m’a rapidement convaincu une fois de plus qu’en France nous étions encore loin de pouvoir réussir à faire quelque chose d’aussi beau en 2019,  il est évident qu’aucun organisateur de l’hexagone n’est capable de réunir 2500 personnes autour d’une affiche aussi riche, pertinente, merveilleuse et surtout actuelle.

Le choix exigeant des orgas a attiré 50 % d’un public étranger connaisseur (des fans de Post Punk, de Wave et d’EBM, des freaks venus d’Allemagne, Angleterre, France, Portugal…), un public à la fois underground et branché, composé de jeunes et moins jeunes, avec autant de femmes que d’hommes et faisant la part belle aux communautés LGBT.

En discutant avec les gens je me suis vite rendu compte que la majorité n’était aucunement motivée par la nostalgie, mais davantage par la beauté fantasque et futuriste des sons Post-Punk, EBM, Cold Synth Wave et Dark Techno.

Cher lecteur, jette un coup d’œil à l’affiche et tu comprendras que nous ne sommes pas ici dans un festival pour cinquantenaires beaufs nostalgiques du genre du W de Belgique ou un rassemblement de clowns tristes et de déguisements ridicules façon Wave Gotic Treffen de Leipzig ou le mauvais goût vestimentaire et musical se conjugue l’un avec l’autre sans vaciller année après année.

Non pas de ça ici, les gens derrière cet Ombra festival s’adressent à un public qui achète encore des disques, et qui bénéficie d’une culture musicale transversale, mélomane et profondément esthète. Le mot tombe juste, oui nous sommes bien dans un festival pour esthètes organisé par des esthètes.

L’initiateur de ces deux jours n’est autre que Nico Cabañas, patron du label Oràculo Records qui propose des pièces vinyliques de toute beauté depuis quelques années depuis sa base arrière en Catalogne.

D.A.F.

Le Syndicat Électronique

Imperial Black Unit

Dive

Kris Baha

Years Of Denial

Credit 00

Manie Sans Délire

Philip Strobel

The Brutalist

Ron Morelli

Marsman

Trisomie 21

Psyche

Undertheskin

Miliken Chamber

The Present Moment

Die Selektion
Sydney Valette

Pankow

SM Forma

We Are Not Brothers

Univac

Die-6

Ober Dada

Sergio Valor

Pendant 2 jours et deux nuits, du 29 au 30 novembre, trois spots ont reçu avec  savoir-faire et respect un public de 2500 personnes dans un enchaînement de lieux extraordinaires qui me fait penser aux multi-espaces des Nuits Sonores : Utopia 126, un immense entrepôt industriel du siècle dernier toujours dans son jus, suivi d’un des clubs les plus réputés d’Europe, le Razzmatazz et d’un autre club à taille plus humaine, le Wolf. Autant je reste dubitatif sur le Wolf (ex-Psicodromo) qui n’a ni le cachet ni le son des deux autres salles, autant en ce qui concerne l’Utopia 126 nous sommes restés subjugués par ce lieu magique comme peuvent l’être les anciennes usines Fagor de Lyon pour les Nuits Sonores ou la Manufacture- Cité du Design de Saint Etienne. Des lieux à l’architecture industrielle unique qui respirent et qui vous donnent l’occasion pendant une soirée de déambuler et de vous perdre dans leurs dédales agrémentés de projections, de lumières et d’installations d’Art moderne tout à fait adaptées à ce genre de festival. J’ai vraiment adoré les divers murs de télévisions cathodiques installés dans les différentes salles qui nous amènent sur les deux scènes principales, les artistes ont eu l’intelligence de balancer des vidéos différentes dans chaque TV ce qui m’a fait penser aux installations scéniques de Cabaret Voltaire, Psychic Tv, Ministry ou Consolidated dans les années 80.

Nous rentrons dans l’usine Utopia 126 vers 18h30 juste avant le concert de Psyche que je tenais à voir 30 ans après mon premier concert de ce duo canadien (en 1988 à la Guinguette Du Rock près d’Avignon), sachant que je suis fan d’une partie de la biographie de Psyche datant des années 80 je m’attendais à une belle surprise même si pas mal de gens l’ayant vu récemment m’ont mis en garde sur le côté un peu cheap de la performance. J’ai assisté à 4 titres et j’ai préféré changer de salle, à cause surtout du son du live qui n’était pas très bon, il y avait trop d’aigus et aucune basse, je pensais d’ailleurs que cela venait de la sono, mais je me suis rendu compte un peu plus tard sur Dive (qui avait un son parfait et des basses surpuissantes) qu’en fait ça venait bien du groupe et pas de l’installation. Vers 23h nous nous rendons au Wolf pour voir Marsman du label Pinkman (set warm up de qualité mais pas adapté à l’horaire tardif ni à l’état d’excitation dans lequel était le public et moi-même), suivi du live de Die Selektion que je n’ai pas du tout aimé malgré l’aspect bon enfant de leur EBM sucrée relevée d’une trompette (sic!) et le pogo de dingues que Philip Strobel du label berlinois [aufnahme + wiedergabe] entame avec eux au milieu de leur live. Arrive enfin mes chouchous Years Of Denial qui comme prévu (je les ai vus il y a à peine deux semaines lors du festival La Semaine Sainte à Toulouse) ont été excellents, le public extasié a adoré ce live conforme à la puissance de leur dernier album épuisé en une semaine. Préférant rentrer vers 3h du matin pour être en forme le lendemain cette première journée n’aura pas l’effet escompté en ce qui me concerne, trop d’excès de mon côté et pas assez de concerts immersifs et suffisamment énergiques pour me permettre de rentrer dans le trip. Dive et Years Of Denial seront donc les meilleurs live du premier jour. Bilan mitigé donc pour ce premier jour mais j’attends la suite avec entrain.

Nous arrivons vers 15h30 le deuxième jour, je rate donc Sydney Valette, mais c’est une constante semble-t-il, car nous sommes tous les deux coutumiers des rendez-vous foireux, par deux fois j’ai choisi de ne pas prendre un de ses albums sur Unknown Pleasures Records parce que je n’avais pas apprécié deux ou trois titres et je lui avais demandé de les remplacer, de ce fait l’artiste fidèle a lui-même a préféré essayer sur d’autres labels, j’apprécie tout de même la démarche intransigeante et le caractère bien trempé de ce genre de personnage prolifique et sans concessions. Et même si nous nous ratons depuis quelques années parce que nous sommes deux forts caractères je salue la perf. Il est toujours difficile d’ouvrir un festival très tôt devant seulement une centaine de personnes et de jouer comme s’ils avaient été 10 fois plus nombreux. Le groupe suivant undertheskin, une sorte de Post Punk polonais que j’aime bien sur disque, a lui aussi essuyé la difficulté de se retrouver en début de festival devant peu de monde mais la performance fut de qualité. Dans la salle numéro je n’ai pu voir que la fin du duo Manie Sans Délire, très bonne EBM technoïde dont j’avais repéré quelques maxis ravageurs il y a 2 ou 3 ans. Le public commence à arriver en masse en fin de journée et l’immense usine désaffectée se remplit en moins d’une heure de freaks, gens en noir de la jeune génération et de quelques anciens des eighties (pour une fois pas en majorité) qui savent pourquoi ils sont là. Je croise des amis de France, d’Angleterre, d’Allemagne et du reste de l’Espagne. Je bois une bière avec le vieux pote Fx (de Millimetric) et Édouard (son ancien acolyte de Digital Blood dans les 90s) on parle un peu du passé, toujours très étonné de voir qu’Édouard qui me connaît depuis 30 ans n’a rien suivi de mon travail après mon départ du Trolleybus en 2000, ni musicalement ni littérairement, et ne connaît absolument pas notre vaste catalogue UPR, contrairement à notre ami commun Fx Millimetric qui m’a félicité pour ma biographie de Nitzer Ebb (ça fait chaud au cœur de voir qu’on ne fait pas les choses pour rien) et qui m’achète de temps en temps des disques (comme l’excellent Art Kinder Industrie de notre cher David Carretta). N’ayant aucune envie de ressasser le passé je me dirige vers la salle principale avec mes potes Mauri et Jesus pour voir à quoi ressemblent les cultissimes Trisomie 21, dont les très vénérables rengaines m’ont lassé depuis un bail, je reste un peu le temps d’écouter deux titres, ça joue très bien, le chant est moins mauvais que ce que je pensais, mais la soif m’appelle et je fonce m’abreuver au bar, saluer quelques autres amis espagnols et me mettre en forme pour passer plusieurs heures dans la salle Operator (nom de la radio qui retransmettra en vidéo toutes les prestations de cette deuxième scène sur le web) dans laquelle je me place tout devant pour ne rien rater de Celldöd, Kris Baha, Sm Forma et Imperial Black Unit.

Je me place devant Anders Karlsson de Celldöd dont j’apprécie énormément les divers maxis publiés dans une veine très DAF/Liaisons Dangereuses, on se connaît via les réseaux sociaux, on se jette un regard mutuel et le suédois lance ses machines, le live est linéaire mais redoutablement efficace.

https://www.facebook.com/operator.radio/videos/568026447346274/

Je me fais des amis sur le devant de la scène, puis vient Kris Baha (l’australien qui chante sur le premier album de Blind Delon que nous avons sorti en début d’année sur UPR), la foule commence à devenir hystérique, nous assistons tout simplement au meilleur live du festival, Kris est un personnage qui me fait penser à Prince par son look et sa coiffure, mais sa musique n’a rien à envier à l’EBM la plus fine des années 80 avec une touche électro classieuse et un talent vocal inouïe et diablement envoûtant.

https://www.facebook.com/operator.radio/videos/2834184059926007/

Je fais un tour pour sentir l’ambiance dans les autres salles et à mon retour je me retrouve happé par le son Techno Indus efficace et puissant de SM-Forma (Mario ex D-Forma avec qui j’ai travaillé sur un EP au début des années 2000).

https://www.facebook.com/operator.radio/videos/442227953345971/

Je reste ensuite pour vivre deux ou trois titres des excellents toulousains (basés à Berlin) Imperial Black Unit qui remettent au goût du jour le son des premiers Numb, Skinny Puppy ou Front Line Assembly dans une veine plus techno et hypnotique qui rend dingues tous les clubbeurs de la planète depuis leur passage chez Boiler Room et leurs maxis chez [aufnahme + wiedergabe].

https://www.facebook.com/operator.radio/videos/723613904808984/

Un peu perché, je me ressaisis et je me dirige vers la grande scène pour le live tant attendu du Syndicat Electronique, la légende électro française la plus enviée au monde. La salle est blindée, 2000 personnes environ, le son massif et le spectacle subversif mais efficient, je suis vraiment fan de ce mec. Alexis le leader maximo en cagoule noire et veste redneck texane arpente la scène de droite à … droite, lève au-dessus de lui un gilet jaune comme pour faire référence à sa récente arrestation lors d’une manif à Toulouse, fier et déterminé A// est en grand forme, haranguant la foule et nous offrant un florilège de ses meilleurs titres, des hymnes repris en cœur par un public de connaisseurs, ce concert du Syndicat Electronique me fera revivre la grande époque d’Invasion Planète quand la Techno et l’Electro sentaient le souffre. Je me rapproche de la scène et je vois deux ou trois skinheads faisant le salut romain devant une foule de catalans indépendantistes surexcités, mais le jeu de la provoc se dilue dans la puissance du son et les borborygmes du Korg MS20. L’EBM c’est aussi ça, de la subversion, de la provocation, des extrêmes qui se côtoient mais dansent sur le même rythme, que vous aimiez ou pas le le monde est ainsi fait, yin et yan.

https://www.youtube.com/watch?v=zkBru6OsKY4

Un grand moment qui va nous conduire jusqu’à l’apparition de D.A.F. au Razzmatazz (dans la mythique salle The Loft), un concert magistral, généreux et surréaliste qui me fera dire à tous mes potes que nous vivons une soirée de luxe, un moment inoubliable avec demi-heure de rappel et un Gabi Delgado qui exprimera sa joie d’être là  «amigos y amigas, muchas gracias, nos sentimos muy bien, vamos a quedarnos aqui un poco mas ».

J’ai eu l’impression ce soir-là de revivre tous les meilleurs moments de ma vie en une seule soirée, ça faisait tellement longtemps que je n’avais pas ressenti des émotions si puissantes que je ne demande qu’une chose c’est de revenir à ce festival l’année prochaine. Quel bonheur de passer ainsi une soirée hallucinante entourés des musiciens venus au festival, d’amis chers et de purs fans d’EBM old school heureux d’avoir vécu ces deux jours, et nous finissant sur la très grande piste du Loft sur les rythmes incisifs du set de l’excellent mix du fameux DJ anglais Trevor Jackson.

https://www.youtube.com/watch?v=xInGTR85EbE

Pedro Peñas Robles

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