Journaliste, c’est un métier frustrant. Passons sobrement sur la précarité inhérente à cette belle profession et le fait que le monde vous hait quoique vous fassiez ou disiez, car le sujet a été maintes fois abordé, disséqué, et nous ne sommes de toute façon pas là pour parler de tout cela. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’est pas possible, sur un blog, un journal ou une chaîne de télé ou une émission de radio, de parler de ce que l’on veut comme ça. Qu’il s’agisse des hémorroïdes de Jean-François Copé ou de pourquoi Adele, c’est de la merde, il va falloir justifier votre sujet : pourquoi en parler maintenant ? Quel est l’angle, l’actualité autour du dit sujet ?
Un apprenti journaliste (moi, pour ceux qui auraient trop écouté Maître Gims) était confronté à ce problème ces jours-ci. Il était désireux de vous parler de The Shield, mais la série n’est pas toute jeune (2002-2008 pour être exact). Il lui manquait un prétexte, une actualité. Et puis, Quentin Tarantino a sorti Les Huit Salopards (The Hateful Eight). Au casting, un certain Walton Goggins (que les sériephiles/phages auront sans doute déjà aperçu dans Sons of Anarchy). Qui n’est autre que Shane Vendrell dans The Shield. Le deuxième rôle le plus important de la série. Eurêka, le voilà le prétexte d’actualité ! Allez, accrochez vos ceintures, on remonte dans le temps.
Los Angeles, l’Amérique post-911. Dans le quartier chaud et mal famé de Farmington, une unité de police « pilote » prend ses quartiers dans une ancienne église. Parmi eux, il y a la « Strike Team ». Quatre gaillard (dont Shane Vendrell, joué par Waltons Goggins dont nous parlions plus haut) costauds et sans peur, spécialisés dans l’appréhension des dealers (en général mexicains et moustachus), l’enfonçage de porte à coups de bélier et les fusillades explosives. Sauf que nos quatre compères, en particulier Vic, leader de l’équipe, ont un petit souci avec l’autorité et n’hésitent pas à flirter régulièrement avec la légalité pour « mieux » faire leur boulot. Besoin d’arrêter un dealer présumé, mais pas moyen de trouver de la drogue à son domicile ? Pas grave, on plante un petit sachet de coke sous un canapé et on mène une perquisition bidon pour exhiber cette preuve factice. Et voilà le dealer suspecté prêt à être emmené au poste, et plus si affinités. Après tout, qui pourrait soupçonner quatre policiers aussi dévoués à leur métier ?
The Shield nous narre donc la vie quotidienne au sein de la « barn » (surnom des quartiers de la police de L.A.). Durant sept saisons et quatre-vingt huit épisodes, nous serons amenés à suivre les péripéties de la Strike Team, entre coups d’éclat policiers et magouilles plus ou moins (surtout plus, en fait) puantes. Mais The Shield ne se limite pas à ces quatre têtes brûlées, et nous ferons également connaissance avec Dutch, détective hors-pair, ou encore le Capitaine Acaveda, personnage ambigu qui tente de mener tout ce petit monde à la baguette.
C’est bien / C’est pas bien ? Pourquoi ?
The Shield n’est pas une série à mettre devant tous les yeux. Tout y passe : crimes sacrément tordus, drogues, prostitution, trafics de tout et de n’importe quoi, c’est une immersion viscérale et au long cours dans la violence de Los Angeles. C’est l’une des forces de la série : son côté social. Minorités maltraitées, pauvreté, insécurité des petites gens, l’oeuvre de Shawn Ryan donne à voir les laissés pour compte, les opprimés, et pas seulement de gentilles classes moyennes caucasiennes avec 4×4, pavillon en banlieue et chien fidèle, pour qui tout se finira bien de toutes façons. À ce titre, on peut rapprocher The Shield de son collègue The Wire, bien que la série de David Simon aille bien plus loin dans cette voie sociale.
Seconde influence notable, c’est celle de 24 (24 heures chrono pour nous autres petits français). Dans cette manière de filmer, virtuose et viscérale, au plus près des protagonistes, ne les lâchant pas d’une semelle même lors des scènes d’action les plus intenses. Si vous êtes un adepte des champs / contrechamps proprets et maîtrisés, oubliez The Shield. Ici, la caméra tremble, s’agite, virevolte, zoome au plus près des visages des personnages. Si vous ajoutez à cela la mise en scène très nerveuse et les péripéties en cascade qui déferlent à chaque épisode, vous obtenez une série qui ne laisse, pour ainsi dire, aucun répit à ses spectateurs.
Une des forces du show, c’est sa capacité à mélanger le long terme et le court terme. Qu’il s’agisse d’intrigues réglées en un ou deux épisodes (il s’agit souvent d’enquêtes confiées à Dutch qui les résout à grands coups d’interrogatoires tendus comme un string) ou bien de problématiques qui planent tout au long de la série (en particulier cette fameuse scène finale du tout premier épisode, qui n’aura de cesse de revenir hanter la Strike Team), The Shield sait mélanger la tension immédiate à des menaces plus diffuses. Si la corruption et le côté très « borderline » des méthodes de Vic et de ses hommes leur causera du tracas dès les premiers épisodes, il faudra attendre la saison 5 avant que le quatuor ne commence à s’enfoncer, sans possibilité de retour, dans un inextricable bourbier. Une saison 5, qui, je tiens à le souligner, est magistrale, un des plus grands moments que la télévision a pu enfanter, avec un Forrest Whitaker aussi fourbe qu’impressionnant et un finale qui vous laissera scotché devant le générique de fin d’épisode, impuissant et bouche bée.
Longue serait encore la liste des qualités que l’on pourrait attribuer à The Shield. Sa bande-son de qualité, par exemple (on entend du Smashing Pumpkins et du Magnetic Fields) Ou bien ses allures d’immense récit choral nous dépeignant aussi bien les bas-fonds de Los Angeles que les luttes de pouvoir tout en haut de l’échelle sociale. Ou encore, les récits plus personnels centrés autour des familles des personnages (qui seront de plus en plus impliquées au fil des saisons). Mais les listes de courses ne mènent jamais bien loin. Alors, à la place, trouvez-vous un canapé confortable, allumez votre télé et lancez-vous dans cette incroyable série. Entendez-vous les sirènes de police, au loin ?
Si oui, c’est déjà trop tard…
Matthieu Vaillant