« Le comptoir d’un café est le parlement du peuple », disait notre Balzac national. Loin de moi l’idée de chercher à le contredire, le bon Honoré avait le sens de la formule. Non, aujourd’hui j’ai surtout envie d’étendre sa réflexion. Est-ce que tous les comptoirs, quels qu’ils soient, ne seraient pas tous de parfaits écrins pour la sagesse populaire ? Il y a tout à parier que vous en serez convaincus après avoir vu Clerks, premier long-métrage de l’angelin Kevin Smith. Derrière une histoire de base simplissime se cache un film bien plus malin qu’il n’y paraît. L’on y suit Dante Hicks (Brian O’Halloran), employé d’un convenience store (un genre d’épicerie / bureau de tabac à l’américaine, avec les grands frigos), qui se voit privé de son jour de congé. Un pitch pour le moins minimaliste, point de départ d’une journée riche, très riche en rebondissements.

Si je parlais de sagesse populaire en début de bafouille, ce n’était pas pour faire joli. Les personnages de Clerks ne sont pas des héros. Ils ne sont ni beaux, ni ambitieux, encore moins sympathiques (du moins pas de prime abord), ni socialement aisés. Ils n’aiment pas leur métier, ni leurs clients. Et pourtant. Oui, et pourtant, leur humanité transpire par tous les bords de la pellicule. Notamment dans les nombreuses scènes de dialogue entre Dante et son poto Randal (Jeff Anderson), employé de la boutique de VHS voisine. Si celui-ci paraît d’abord plus paumé, il incarne finalement un personnage fort, et pétri d’une salvatrice nonchalance, toujours capable de voir le bon côté des choses, aussi merdiques soient-elles. Et croyez-moi que, question galères, vous allez être servis ! Mais revenons aux dialogues, brillamment troussés. Tantôt hilarants, tantôt emplis du désarmant bon sens des gens simples, ils brassent un éventail de sujets plutôt larges, de Star Wars à l’autofellation (oui oui).

Car c’est avant tout l’écriture qui fait mouche dans Clerks. Celle des dialogues, certes, mais aussi celle, toute en nuances et en sincérité, des personnages. Avec une grande simplicité (le film est tourné en noir et blanc, avec bugdet réduit et sans esbroufe) et une tendresse indéniable, Clerks met en scène des personnages dont on sera toujours plus proche que n’importe quel super héros à la con. Paumé, râleur émotif, excédé par sa situation professionnelle et sentimentale lamentable, le personnage de Dante est l’archétype ultime du loser magnifique que l’on ne peut qu’aimer. Le plus fort, c’est que le film réussit ce tour de force sans jamais nous laisser le temps de nous apitoyer, aucun excès de pathos à l’horizon. Rien que du rire, gras, féroce, efficace. La première scène où notre bon Dante doit faire face à un antitabac convaincu n’est qu’un des nombreux grands moments de Clerks.

Un dernier mot sur la bande-son, excellente, éclectique, et qui fleure un capiteux parfum nineties. Vous avez une heure et demie devant vous et vous souhaitez la passer avec des slackers mal fagotés à la langue bien pendue ? Faites-moi plaisir : regardez Clerks.

Matthieu Vaillant

Clerks 2

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