Note: for English speakers, you can find the English interview here.
À Songazine, on aime la bonne musique et on se devait de rencontrer le maestro hollandais Arjen Anthony Lucassen, pour son épique nouveau projet, le nouvel album d’Ayreon intitulé The Source. Nous avons donc pris notre vaisseau spatial et après un voyage dans l’espace nous nous sommes entretenus avec le roi du prog dans son château électrique…
Songazine: Notre première question est peut-être idiote, mais comment fais-tu pour créer des albums aussi hallucinants et de si bonne qualité à chaque fois ?
Arjen Anthony Lucassen: Je suis un perfectionniste. Et je ne m’arrête pas tant que ce n’est pas parfait, tu vois? Quand j’étais petit et que j’écoutais de la musique, le son devait être bon, les chanteurs devaient bien chanter. Comment je fais ? J’aime la musique et j’essaye de faire la musique que j’aimerais écouter moi-même. La musique que je ne trouve pas, genre « J’aimerais que quelqu’un fasse ça… Attends ! Je peux le faire moi-même en fait ! » (Rires)
Mais je ne suis pas un de ces artistes qui disent « je fais de la musique pour moi ». Je fais aussi de la musique pour les auditeurs. C’est très important pour moi d’inspirer les auditeurs, que les gens aiment ma musique. C’est pourquoi je suis si proche des fans sur Facebook et que je suis facile à approcher, j’aime savoir ce que les gens pensent de ce que je fais. Ca m’inspire vraiment quand j’ai un email d’un fan qui me dit « Tu sais j’étais déprimé et j’ai écouté ta musique et cela m’a inspiré de nouveau ». C’est pour ça que je fais de la musique.
Songazine: On a une question pour les gens sur Songazine qui ne connaissent pas Ayreon : peux-tu nous dire ce que c’est, Ayreon, en 2017 ?
Arjen: C’est un rock opera. Ce qui veut dire que la musique est bien sûr le plus important, mais il y a également une histoire. C’est comme un film pour vos oreilles. L’histoire ajoute une dimension supplémentaire à la musique. Ma musique c’est de l’évasion pure. Tu sais, je pense qu’il ne faut pas faire la vaisselle en écoutant Ayreon, ça serait juste prise de tête. Il faut vraiment s’asseoir et recevoir la musique. Lire les paroles et suivre l’histoire et ne faire plus qu’un avec le monde que je crée. Et ma musique est très variée donc il faut être ouvert d’esprit pour l’apprécier. Si c’est juste « j’aime que le trash metal » ou « j’aime uniquement le prog » ou « j’aime juste ci ou ça » alors ma musique n’est pas pour toi.
Songazine: Qu’as-tu fait différemment des autres albums cette fois ?
Arjen: Plein de choses ! C’est très… (Il réfléchit un peu). Si par autre tu veux dire The Theory of Everything… Je pense que The Theory of everything est mon album prog. Il y avait des musiciens des plus grands groupes de prog de tous les temps. Yes, Genesis, King Crimson, Emerson Lake and Palmer… Je crois que The Source est mon album rock. Il y a le meilleur du hard rock ou du metal, selon comment tu appelles ça. Je pense que cet album est aussi plus facile d’accès. Il est plus structuré, avec plus de chœurs, il est plus catchy. Plus centré sur la guitare. Voilà la différence avec The Theory of Everything. Si tu le compares à mon précédent album, qui est The Gentle Storm, c’est vraiment une réaction à cet album. The Gentle Storm était un album très féminin. Évidemment parce qu’il y a Anneke van Giersbergen, et que c’est une histoire d’amour. Quelque chose que je ne ferais pas en temps normal ! (Rires). Je veux dire je fais des histoires d’extra-terrestres et autres choses du genre ! C’était un album assez féminin et en réaction je voulais faire un album très masculin, plus heavy avec des chanteurs de power metal… J’aime faire des choses nouvelles et me donner de nouveaux challenges à chaque fois.
Songazine: On entend vraiment des nouvelles choses c’est sûr, et en même temps pas mal de choses familières, en premier lieu les chanteurs, plein de voix familières. Que peux-tu nous dire à ce propos ?
Arjen: En fait comme tu le sais peut-être sur The Human Equation et The Theory of Everything je voulais travailler uniquement avec des nouveaux chanteurs. C’était une règle. Je m’étais imposé cette règle, et c’était également un challenge. C’était une façon d’être toujours original. Original pour moi, mais aussi pour les fans. Je vois The Source comme un nouveau départ parce que c’est un nouveau label (Mascot Records) et ça s’appelle « La source », la source de l’humanité mais aussi la source d’Ayreon. Cette fois je ne voulais aucune restriction, pas de limites, je voulais juste avoir les meilleurs chanteurs du monde. Ca semble arrogant dit comme ça mais c’est ce que je voulais. Et j’ai déjà travaillé avec certains des meilleurs : Floor Jansen, Russell Allen, Tommy Karevik…
Songazine: Et les meilleurs musiciens, aussi.
Arjen: Les meilleurs musiciens, oui, oui, c’est clair. Donc ma seule règle cette fois-ci c’était que je voulais le meilleur et peu importe si j’avais déjà travaillé avec eux avant ou pas.
Songazine: Voulais-tu faire quelque chose qui semblerait familier, ou est-ce que c’est arrivé par hasard que tout soit connecté aux anciens albums d’Ayreon ?
Arjen: Je ne planifie jamais les choses. Ça c’est passé comme ça. Et à partir des illustrations j’ai connecté l’album aux anciennes histoires d’Ayreon. J’adore dans les films quand il y a des références à d’autres pans de l’histoire. J’ai toujours aimé ça et je voulais glisser toutes ces petites références. Je voulais expliquer pourquoi la race de ‘Forever’ avait perdu ses émotions. C’était cool d’imaginer que la race de ‘Forever’ était autrefois humaine. Il y a un personnage important dans l’histoire, ‘Le prophète’, interprété par Nils K. Rue de Pagan’s Mind, qui a des visions du future et c’était une façon de faire référence à The Electric Castle ou à The Universal Migrator et j’aime beaucoup quand il y a – quand tout est connecté d’une façon ou d’une autre.
Songazine: Il y a un son très industriel sur certains morceaux, des thèmes plus sombres, penses-tu que cela reflète notre société actuelle ?
Arjen: L’album parle d’une autre planète, planète Alpha, mais bien sûr il y a des références à ce qui se passe sur Terre. Tout est basé sur la science, les scientifiques s’attendent à ce qu’en 2050 on atteigne la singularité technologique, ce qui signifie que les ordinateurs seront plus intelligents que les gens. Que va-t-il se passer à ce moment-là ? Je ne crois pas qu’un scénario comme celui de la planète Alpha se produira. Du moins je n’espère pas. Je ne crois pas que les gens soient si stupides quand même. Mais en résumé l’histoire de la planète Alpha parle de la ‘Structure Première’ (Main Frame, en anglais) qui est simplement appelé ‘Frame, et le président, Russell Allen, a demandé à cet ordinateur de résoudre les problèmes écologiques qu’ils ont. Bien sûr cela rappelle ce que nous avons nous, comme le réchauffement climatique ou autre. Et le ‘Frame regarde et décide qu’il faut éliminer le virus, qui est bien sûr l’humanité. Donc il ne détruit pas les humains en leur tirant dessus avec des lasers ou je ne sais quoi, parce que c’est pas trop mon truc. Mais il coupe tous les systèmes de survie pour sauver la planète. Voilà la base de l’histoire. Mes histoires parlent toujours des émotions humaines. Ce n’est pas sur le bien et le mal, un être maléfique qui tire sur tous les… Ce n’est pas… Ce n’est jamais… (Il réfléchit). C’est toujours à propos des émotions humaines. Mais je suis simplement un observateur, je ne juge pas ou je n’essaye pas de prêcher. J’observe simplement.
Songazine: A ce propos, en tant qu’artiste, comment te sens-tu par rapport à notre époque ?
Arjen: En fait la technologie c’est à double tranchant, la vitesse à laquelle ça évolue. Ca évolue de façon exponentielle. Et en 2050, woah, ça va aller si vite et je le sais parce que je viens de l’époque d’avant l’ordinateur. J’avais la télévision en noir et blanc (rires). L’ordinateur était un gros truc bizarre avec des roues qui tournent quelque part aux États-Unis. Je n’avais pas d’ordinateur portable ou de téléphone mobile. Donc je vois à quelle vitesse ça va de nos jours et à quel point les gens deviennent dépendants, et comment ils ne vivent plus dans le vrai monde désormais, un thème que j’ai développé sur mon album solo Lost in the new real, genre, qu’est-ce qu’il se passe là ? Fait-on encore partie de ce monde ? Bien sûr tout devient plus facile et plus rapide, mais le monde devient meilleur? Ce n’est pas une affirmation, plutôt une question. Et la perception est différente pour chacun. Mais la semaine dernière je faisais mon jogging sur une route de campagne, ce que je fais de temps à autre, et il y avait une sortie scolaire et tous les enfants faisaient de la randonnée par là, et vraiment la moitié d’entre eux avaient des téléphones en face d’eux et ne m’ont même pas vu. Et moi je me disais « ouais mais tu vis maintenant et il se passe des choses autour de toi », mais il y a toujours quelque chose de plus intéressant qui se passe quelque part dans ton téléphone… Encore une fois je ne dis pas que c’est une bonne ou une mauvaise chose. Je ne sais pas si les gens sont plus heureux maintenant que quand j’étais enfant. Je ne sais pas. Encore une fois j’observe juste donc je n’ai pas d’opinion pour ou contre.
Songazine: A propos de The Source qui sort bientôt, il semblerait que tu as beaucoup de fans qui sont vraiment très excités en attendant la sortie !
Arjen: C’est fantastique. C’est exactement comme je le souhaitais. Je ne veux pas être un artiste populaire tu sais qui est tout le temps à la télé et qui touche beaucoup de monde. Je veux toucher cette partie de fans loyaux, qui te seront toujours loyaux. C’est ça que je veux. Et ça augmente même maintenant, ça prend de l’ampleur parce que « The Day That The World Breaks Down » a eu quelque chose comme 100 000 vues en très peu de temps, ce qui veut dire que la base de fan augmente et les préventes de l’album sont les meilleures de toute l’histoire d’Ayreon. Donc ouais, c’est pas mal du tout. Pas mal du tout. (Rires)
Songazine: Il parait aussi que les concerts à venir sont tous complet, ils ont été complets en moins d’un jour ?
Arjen : Ouais. Incroyable.
Songazine: Est-ce que tu peux nous révéler des choses sur les concerts ?
Arjen: Ouais bien sûr ! On veut jouer… Ou on va jouer, ou je vais jouer au moins deux morceaux de chaque album. J’ai envie de faire ça, ouais ! Encore une fois je ne suis pas un artiste qui dit « je joue seulement ce qui me plait ». Je veux jouer ce que les gens ont envie d’entendre. Et je veux aussi jouer des chansons qui passent bien en live. Donc ce ne sont pas mes chansons préférées, juste celles qui sonneront bien en concert, soit parce qu’elles sont petites, très fragiles, soient parce qu’elles sont vraiment énormes. Mais les choses entre-deux, il ne vaut mieux pas. (Il réfléchit). Et oui il y aura 16 chanteurs, Mike Mills interprètera « The One » et il sera le narrateur et il est fabuleux, peut-être que vous avez vu dans The Theater Equation à quel point il est doué. Il avait un rôle très important. Et il y aura un énorme écran LED sur la scène. On discute en ce moment des effets de lumière. Comme les 9 000 tickets du show se sont vendus et que tout est complet on peut investir plus d’argent et d’efforts dans le show donc bon… Oui ça fait quasiment un an qu’on travaille dessus maintenant. Là on fait les répétitions de guitare. On va bientôt se poser avec le bassiste et ensuite avec l’ingénieur lumière et on va faire des visuels pour les écrans… Donc ouais, mes prochains mois sont plutôt blindés (rires).
Songazine: On a lu que tu serais un invité pendant le concert, donc tu ne joueras pas pendant tout le concert ?
Arjen: Nee nee nee nee. Je veux être le metteur en scène. Les autres guitaristes sont bien meilleurs que moi. Dans The Theater Equation j’apparaissais juste à la fin et c’était plutôt amusant. Mais maintenant je me dois de faire un peu plus que ça. J’ai un stress terrible, je suis déjà extrêmement nerveux à l’heure où on parle. Mais je dois le faire. Pas moyen d’y échapper (rires).
Songazine: On voulait te poser une petite question à propos de Guilt Machine. On pense que si on devait être sur une île déserte avec un seul album, ce serait l’album de Guilt Machine. On le trouve tellement parfait.
Arjen: Oui, mais est-ce que c’est la perfection que tu souhaites vraiment ? (Rires) (En anglais, is perfection what you really want?, le refrain d’une des chansons de Guilt Machine)
Songazine: C’est probablement ton œuvre la plus intime. On devait te demander : y a-t-il une chance qu’on ait un projet de ce genre à nouveau ?
Arjen: Bien sûr qu’il y a une chance. Bien sûr. Mais comme j’expliquais, je ne planifie jamais. Ca change tout le temps. Mais oui je suis très fier de cet album également, et même s’il n’a pas très bien marché les fans qui l’aiment, l’aiment vraiment beaucoup. J’adorerais en faire un autre mais il n’y a pas de plan défini à l’avance. Il y a tellement de projets, solo, Star One bien sûr, maintenant Gentle Storm qui s’est ajouté, mais bon c’est vraiment une possibilité. Ce n’est pas un non.
Songazine: Ok !
(Arjen éclate de rire).
Songazine: Apparemment Lori (Linstruth) avait été une grande influence sur cet album et aussi sur les deux derniers Ayreon ?
Arjen: Oui enfin, influence, elle a écrit toutes les paroles et joué tous les solos, donc c’était plus qu’une influence !
Songazine: Et sur les deux derniers Ayreon elle a collaboré aux paroles ?
Arjen: Particulièrement sur The Theory of Everything, nous avons écrit chacun la moitié des paroles. J’écrivais les paroles, elle les changeait (rires). En fait elle parle anglais depuis la naissance, et elle est professeur d’anglais. Mais sur ce dernier album elle s’est un peu mise en retrait. C’est plus moi sur cet album. Peut-être aussi parce que c’est de la science-fiction et que c’est toute cette histoire autour de ‘Forever’ et elle ne la connait pas trop. Mais oui bien sûr c’est la première personne vers qui je me tourne pour tous mes nouveaux trucs et elle est impitoyablement honnête (rires). Tu vois si elle n’aime pas elle me le dit directement. C’est parfois dévastateur, mais elle a une opinion objective.
Vous pouvez retrouver plus d’infos sur Arjen Anthony Lucassen et son projet Ayreon sur son site, http://www.arjenlucassen.com/
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