Pourquoi est-ce toujours si difficile d’écrire sur vous chère Chloé ?
Peut-être parce que vous êtes une artiste de contrastes. La noirceur vous va aussi bien que la lumière. Tel l’outrenoir de Soulages, le ‘’noir-lumière’’.
Il y a tant à dire de vous, vous dont l’art jaillit de toutes parts, de vos gestes, de vos mouvements, de vos mots, de votre musique. Tant à dire de votre magnétisme, de vos contraires.
Vous étiez ce jeudi 26 octobre au Forum Léo Ferré à Ivry-sur-Seine. Un écrin feutré et intimiste, idéal pour un concert littéraire, pour s’enivrer de poésie et de votre musique. Pour faire dialoguer vos questionnements intimes et certaines de vos chansons dans une correspondance posthume avec la grande poétesse américaine Sylvia Plath.
Je vous avais vu un soir de février 2017 sur la scène du Petit Bain, livrant un set électrique en compagnie de vos ‘’meufs’’, Annie Langlois et Katel, dans le cadre du festival ‘’Frenchy But Chic’’.
Mais ce jeudi, vous nous avez offert un autre aspect de vous, plus intime et introspectif.
En cherchant la signification du mot « aphélie », une chanson de votre amie Katel sur son album ‘’Elégie’’, j’ai découvert celle de son antonyme, « périhélie », qui vous correspond en tous points.
Vous êtes un astre magnétique au périhélie. Comprenez une artiste céleste dont le point de trajectoire est au plus proche du soleil. Une artiste rayonnante, songwriteuse éclairée, brillante. De mil feux sacrés.
« Attrapons les étoiles ce soir, c’est nuit de fête… »
Alors oui, il est difficile d’écrire des choses de vous.
Il serait risqué par exemple d’essayer de chercher des similitudes entre vous et Sylvia Plath sans tomber dans le pathos. Le mot ‘’similitudes’’ est d’ailleurs totalement inapproprié et je suis un bien trop piètre chroniqueur pour m’essayer à ce genre d’exercice.
Le mot ‘’résonnance’’ me semble en revanche plus juste. La résonnance de vos questionnements sur la raison de vivre et de mourir, les désordres du moi, la situation de la femme dans la culture, qui initient à travers le temps ce dialogue entre vous et Sylvia. Des obsessions, des mots, des pensées, des névroses, des tourments, des déchirements, l’impérieux besoin de liberté et d’indépendance, l’exigence cruelle envers soi-même, qui se reflètent les uns aux autres, comme un miroir qui nous renvoie notre propre image.
Il y a quelques semaines de cela, j’ai poussé la porte de la librairie Violette and Co, au 102 rue de Charonne, dans le onzième arrondissement de Paris. Je me suis dirigé vers le rayon ‘’Poésie’’, très fourni, et mes doigts se sont portés sur les œuvres essentielles – poèmes, romans, nouvelles, contes, essais, journaux – de Sylvia Plath.
Ouvrant le volume extrait de l’étagère, mes yeux se sont portés sur ce passage : ‘’Je ne peux me contenter du travail colossal que représente le fait de simplement vivre. Oh non, il faut que j’organise la vie en sonnets et sextines, procure un réflecteur verbal à l’ampoule de soixante watts que j’ai dans la tête’’ ; et la création est vouée à la fluctuation entre le sentiment de toute-puissance et l’angoisse de l’anéantissement. Comme s’il fallait au sujet atteindre ‘’le fond’’, en quelque sorte mourir, pour refaire surface, renouer avec les forces de l’être, renaître…’’.
Et encore : ‘’C’est comme si ma vie était magiquement parcourue par deux courants électriques, l’un positif et joyeux, l’autre profondément négatif et désespéré. Cela envahit ma vie, l’inonde. Maintenant je suis submergée par le désespoir, voire l’hystérie comme si je me noyais (NDLR : Je pense ici à votre cover de ‘’Il se noie’’ de Trisomie 21). Comme si un hibou gigantesque était posé sur ma poitrine, ses griffes broyant et enserrant mon cœur’’.
Et encore, quelques pages plus loin : »Si la névrose est de vouloir deux choses à la fois et en même temps, alors je suis infernalement névrosée. Toujours, et pour le restant de mes jours, je volerai à reculons et en avant entre l’une et l’autre chose ».
Je ne me doutais pas alors que je me précipiterais, plusieurs semaines après, pour réserver mon billet au forum Léo Ferré le 26 octobre. La puissance de l’inconscient sans doute…
Puisqu’on parle de lui… Avez-vous noté que Sylvia Plath est née un 27 octobre ? Est-ce voulu ou fortuit de vous produire en cette veille du jour de naissance de la poétesse ?
Oui, il est difficile d’écrire des choses de vous. Vous savez cette résistance des mots, ceux-là même qui nous enchantent quand ils s’imbriquent, dans la bonne sonorité, et qui vous font souffrir quand ils ne viennent pas, ou pas de la bonne manière.
Je m’aperçois qu’ils ont fini par arriver… Tout arrive chère Chloé, à qui laisse reposer…
Je vous dis à bientôt, le plus tôt sera le mieux, et je vous embrasse.
Alechinsky.