Le théâtre de Pascal Rambert est proche de l’émotion suscitée par une musique, une mélodie. Les chansons dans ses créations n’arrivent pas du ciel, pas pour faire un changement de décor, elles sont toujours connectées à quelque chose de concret, de réel.

Acteur, auteur et metteur en scène de théâtre, ses pièces se jouent à travers le monde. Il répète tous les jours, c’est sa passion, malgré le tumulte des voyages. Mais c’est dans l’immobilité de son crâne que l’écriture advient et dans le silence.

Il prétend aimer la variété, dit que la musique permet parfois sur des sujets un peu difficile comme : la séparation, la confrontation avec la mort, ainsi dans Actrice avec Cosi fan tutte de Mozart  « ça permet d’équalizer un peu, de décharger l’émotion, ou même de la recharger ». On se dit qu’il ne serait pas insensible à l’utilisation qu’a faite Xavier Dolan dans son film Les amours imaginaires d’une séquence sur la chanson Bang Bang de Nancy Sinatra.

Pour Pascal Rambert, la musique vient avant tout des mots :  du rythme d’une phrase, le son qu’elle produit quand il écrit ses pièces. Il lit toujours ses textes à voix haute. Impossible pour lui d’être en contact avec la musique quand il écrit. Il a commencé en 77-78, avec le bruit des frappes qui martelaient sur la grosse machine à écrire Japy, objet très lourd en fonte.

Désormais, c’est l’ordinateur le plus léger, le plus fin, à la frappe silencieuse  qui l’accompagne. Il ne peut pas écouter de musique en écrivant, c’est impossible « ça me parasite le rythme et l’énergie de la phrase. J’arrive pas à la faire coïncider, je suis trop dans ce que je fais, dans la  concentration,  même le bruit dans une pièce à côté de la mienne, je suis obligé de demander qu’il y ait le silence, ce n’est pas toujours facile pour mon entourage… ».

C’est quand il quitte la zone de l’écriture que le territoire musical peut entrer en connexion avec lui. En coupant des tomates dans sa cuisine de  son ancien appartement parisien et que la radio allumée diffuse de la musique au hasard…il entend Happe de Alain Bashung  « Je pense alors à Clôture de l’amour  que je suis en train d’écrire et je me dis : c’est ça !  Et je l’écoute 20 fois, je la mets à l’épreuve, après avoir fini d’écrire le texte, je la mets pendant que je fais la lecture à voix haute… ».

La pièce de théâtre Clôture de l’amour,  c’est un peu l’œuvre phénoménale, le geste parfait de la création absolue ; en musique, ce serait l’album d’un autre génie, Robert Smith, quand, avec The Cure il crée Pornography. Un bloc de tension, de déchirement, de cœurs comprimés à l’extrême, le souffle coupé, un long cri… on pense à Munch.

Il faut avoir vécu ça. Se retrouver devant une scène de théâtre blafarde et voir deux comédiens un homme (Pascal Rambert) et une femme (Audrey Bonnet) se faire face, se tenir à distante prudente. L’homme introduit l’arrivée des mots : brise leur relation, coupe net tout espoir de prolongement, pas d’amour éternel, pendant un long monologue ininterrompu de 45 mn. La séparation. Ces corps qui ne se prendront plus dans les bras l’un de l’autre. On pense aussi au morceau d’introduction de l’album Loveless de My Bloody Valentine qui broie l’auditeur, le plonge en apnée, abruti et perdu. Les deux corps transpercés par les mots du texte comme une longue flèche tirée d’un arc tendu à mort.

Avant que la femme lui adresse une réponse retrouvant la rage, la fureur, elle qui subissait, roseau fragile ne rompant pas, une chorale d’enfant interprète Happe : « Tu vois ce convoi qui s’ébranle / non tu vois pas / tu n’es pas dans l’angle / pas dans le triangle…».

« Ce morceau disait pour Clôture de l’amour quelque chose mais pas trop, ça faisait entendre quelque chose, c’est un texte un peu mystérieux on ne sait pas trop de quoi il parle et j’ai jamais voulu savoir. Par exemple quand je fais Clôture de l’amour en Chine, à Zagreb ou ailleurs, je prends toujours des chorales qui savent déjà quelque chose, je leur dis surtout ne prenez pas un truc qui parle d’amour, pour que ce ne soit pas redondant, je suis très ouvert… ».

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En l’occurrence dans Reconstitution, nouvelle création, pièce écrite pour Véro Dahuron et Guy Delamotte du Panta Théâtre à Caen, un homme et une femme se retrouvent après une longue séparation, 20 ans peut être. Cela pourrait être la suite de Clôture de l’amour. Ils ont la soixantaine et ils se donnent un week-end pour reconstituer leur première rencontre. A un moment, l’homme pose son iphone sur la table, on entend Barbara Une petite cantate.

« Ecouter Barbara dans la situation où ils sont en train tous les deux, de manger leur petit potage, un truc qui est tellement évident,  qu’on connaît tous qu’on a tous vécu, ça permet de souffler un peu.  J’ai toujours travaillé avec Alexandre  Meyer qui fait tous les sons de mes pièces, mais sur des pièces comme ça des fois je lui dit, ne viens pas je vais le faire, il n’y a pas de musique qui se justifie. Sur Une vie à la comédie française, il y en avait tout le temps, du son qui était derrière, on était dans un rapport presque onirique, généralement toute mes musiques dans mes pièces elles partent d’un endroit réel. » 

Reconstitution a été fini  d’écrire  au Caire il y a à peu près un an, le 18 mars 2017. Il ne se souvient pas vraiment comment la chanson de Barbara est venue à lui  « Je l’ai vue en concert quand j’avais 16-17 ans, ça m’avait absolument bouleversé, j’y pense souvent, j’aurais jamais osé la mettre avant. Mais là, je trouvais que c’était la bonne chose à mettre, c’était une chanson que ces gens là pouvaient écouter, qu’ils ont pu aimer et même au niveau de la chronologie c’est assez ça ».

Pascal Rambert ne conduit pas, n’a pas le permis.  Il aime  être à l’arrière des taxis « ça me permet de rêver, c’est un endroit où je travaille manifestement beaucoup, pour l’imaginaire, je regarde dehors, les gens,  la vie, souvent ils mettent de la musique parfois je leur demande de l’enlever parce que je suis en train de penser à un truc et ça  me perturbe mais parfois j’entends quelque chose, et c’est de là que ça vient… ».

Toujours en mouvement.

Szamanka.

 

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