« The silence can sometimes be stronger than music, » écrit Moddi dans son blog, juste après l’annulation de son concert à Tel-Aviv. Ce jeune musicien-activiste norvégien alors âgé de 27 ans en janvier 2014, pose la première pierre de sa future oeuvre appelée Unsongs (16 septembre). A travers ce message, il dénonce l’occupation de la Palestine par Israël.
Tout de suite après, une compatriote chanteuse de Moddi, Birgitte Grimstad le contacte pour lui parler d’une chanson nommée Eli Geva. Censurée en Israël à cause de son hommage à ce gradé militaire israélien qui refusa d’envoyer ses hommes au feu durant la guerre du Liban, en 1982.
S’inspirant de cette chanson muselée par les autorités, Pâl Moddi Knusten, de son vrai nom, décide de réunir d’autres œuvres interdites, enchaînées pour avoir voulu dire la vérité. Sur les quatre cents titres, il n’en a choisi que douze, dont Eli Geva.
Poignant est le mot qui nous vient quand on écoute son album. Sa mélodie pop-folk est d’une beauté presque insouciante, gracieuse montant vers le haut, puis elle redescend dans les profondeurs pour redevenir grave et mélancolique.
Parmi les douze morceaux, Songazine en a retenu cinq, même si tous se valent. From The Shattered Pieces of A Stone It Begins ouvre ce recueil. Ce titre est tiré d’un poème du chinois Liu Xiaobo’s. Prix Nobel de la paix et professeur, il l’écrivit durant sa détention en 1994. Le texte rend hommage aux manifestations étudiantes de la place Tien-Anmen en 1989.
Army Dreamers est une chanson parmi les soixante-huit censurées par la BBC durant la première Guerre du Golfe. Écrite par Kate Bush en 1980, elle dénonce les effets de la guerre sur une mère qui a perdu son fils lors d’un combat. Comme quoi la censure est partout même dans les pays occidentaux qui se disent démocratiques.
Voire même en Scandinavie… où tout le monde pense que ces pays sont les fers de lance des droits de l’homme. The Shaman and The Thief est une chanson traditionnelle lapone rapportée par un prêtre finnois Jakob Fellman (1795-1875) lors de son voyage dans les terres de Laponie. Elle raconte ce choc de cultures, parfois brutal, entre la religion des Lapons et le christianisme.
Restons dans le Nord de l’Europe chez nos lointains voisins les Russes. A moins que vous ne viviez reclus ou en ermite, vous savez que dans le pays du Tsar Poutine, il ne fait pas bon de vivre en opposition avec les idées du Kremlin. Si c’est le cas, vous vivrez « d’agréables vacances » dans les prisons russes avec un confort insalubre ou vous irez visiter des pays étrangers, voire logerez dans des ambassades dont vous ne sortirez su’en de rares occasions. Enfin, dernière solution, un espion de l’ex-KGB se déguisera en faucheuse pour vous passer le bonjour de Moscou. Le groupe punk féminin Pussy Riot en a fait les frais en 2012. Moddi leur rend hommage par cette reprise intime au piano/voix de Punk Prayer.
Enfin, nous terminons par Open Letter To… de Lounès Matoub, un chanteur kabyle assassiné en 1998 pour avoir défendu ses idéaux. Durant sa vie, il a combattu via des poèmes et des chansons pour la reconnaissance de la culture amazighe mais aussi pour la démocratie et la laïcité en Algérie. Cette chanson reprise par Moddi dénonce la corruption du pouvoir algérien en place. D’ailleurs, dans l’album éponyme de Lounès Matoub on retrouve une version parodique de l’hymne national algérien.
Au final, Unsongs de Moddi est un excellent album. Sa pop-folk est joliment orchestrée avec cette douce mélancolie qui coule dans nos oreilles. Son oeuvre est aussi un parfait recueil qui montre que la musique n’éveille pas que du plaisir… Elle est là aussi pour briser le silence et évoquer certaines causes justes.
Sur ces mots, Songazine s’en va écouter Le Déserteur de Boris Vian…
Thomas Monot
Bonus lien :
Punk Prayer