Lorsque j’ai annoncé que je déménageais pour m’installer à Limoges, les commentaires allaient de la compassion affligée à l’incompréhension horrifiée. Quelqu’un m’a même demandé si j’étais « vraiment obligée » d’y aller. Une seule de mes connaissances m’a dit que c’était une bonne idée. Elle avait pas mal roulé sa bosse et avait vécu quelques années dans la ville-repoussoir. Et elle s’y était bien plu. Les contempteurs, eux, n’y avaient jamais posé les pieds.
J’ai également beaucoup déménagé et habité un temps en lointaine région parisienne, là où les classes moyennes se tapent trois heures de RER par jour pour l’aboutissement social que constitue un pavillon avec pelouse et où, malgré l’absence de cinéma correct, de cafés-concerts et de bibliothèques de taille décente au regard du nombre d’habitants, mes collègues (dans une profession censément intellectuelle) considéraient avec une admirable fermeté que Clermont-Ferrand était un désert culturel. C’est la malédiction du centre de la France. On ne fait qu’y passer pour aller à la mer, sans songer un seul instant que l’on peut vivre ici aussi. La diagonale du vide trouve son épicentre dans le grand massif central, le milieu de nulle part. Ce mépris ne date pas d’hier et si le verbe limoger vient du vocabulaire militaire du début du XXe siècle, il rappelle qu’une mutation dans la capitale du Limousin était tout sauf un avancement.
Je n’étais pas loin de partager cette opinion, du haut de ma suffisance toulousaine, quand j’ai posé mes valises ici. Mais je savais tout de même que c’était la ville des Bushmen. Du coup, mon petit doigt me disait qu’il serait prudent de réserver mon jugement.
Résultat des courses au bout de cinq ans d’expérimentation, Limoges c’est comme partout. Comme partout où il y a une vie associative intense et des gens qui se secouent les puces : tu n’as pas assez de temps pour aller à tous les concerts, à toutes les expositions, à toutes les soirées qui t’intéressent. Tu es confronté à des choix cornéliens parce que trois concerts te tentent le même jour. Tu finis par négocier avec ton sommeil (et avec ta conception du travail bien fait) parce qu’il y a aussi des concerts en semaine et que ton week-end, eh ben il ne dure que deux jours. Pendant ce temps à Veracruz, à Paris où à Toulouse, tes potes – quand ils ont une pensée pour toi – te plaignent. Ils savent que tu as des goûts peu éclectiques et plutôt ciblés et se disent que tu ne dois pas sortir souvent là-bas, dans ton trou du centre de la France. C’est gentil, les gars mais ça va plutôt bien.
Si Paris vaut bien une messe, Limoges méritait un numéro de Songazine. Et bien davantage d’ailleurs. Comme partout. Comme partout où il y a des énergies qui n’attendent pas une subvention ou un article dans Technikart (qui, de façon assez décevante, ne parle que peu de karting, vous l’aurez noté) pour organiser des évènements. Comme dans toutes ces villes de taille moyenne où il paraît qu’il n’y a rien à faire. Comme dans ces bleds paumés où il y a un café-concert, une salle associative, un squat, n’importe quel endroit où on peut se réunir pour partager de la musique et où, n’en déplaise aux jamais contents qui attendent encore de recevoir un bristol en velin de qualité supérieure pour sortir de chez eux, la scène vit.
En allant à la rencontre de ceux qui consacrent leur temps, leur énergie et finalement leur vie (en renonçant souvent à d’autres choses ; ça s’appelle l’engagement, m’sieurs-dames) à ce foisonnement de moments précieux, je me suis sentie chanceuse de vivre ici et d’avoir l’occasion de pousser plus loin la discussion ( ma vie de chroniqueuse ou de l’intérêt d’écrire dans un webzine).
Évidemment, il y a aura encore de très bons concerts pour lesquels le public a oublié de se déplacer, des premières parties devant une salle vide alors que soixante personnes qui ont payé leur entrée préfèrent discuter dans la rue en attendant que LEUR groupe passe, des groupes pleins d’idées géniales qui splittent avant d’en avoir joué ou enregistré la moitié. Mais il y aura aussi et surtout des irréductibles du concert, de la production, de la radio associative, du fanzine, du disque… qui continueront encore et toujours. Parce que le meilleur est toujours à venir. Il ne tient qu’à nous de nous décoller du canapé et de le partager.
Comme je suis payée à la ligne, je vous ai infligé ce long discours qui tenait, en fait, en quelques mots, ceux de Tanguy lors de l’interview de Nothing Lasts : « quand on cherche (quelque chose à faire) on le trouve. Et quand on ne le trouve pas, on le crée ».
Voilà.
Henriette de Saint-Fiel