La Normandie, terre de talents et de douceur, a vu éclore une artiste singulière : Clara Néville. Originaire de la banlieue parisienne mais profondément attachée à ses racines normandes, elle incarne une musique généreuse, inventive et engagée. Après avoir séduit le public avec son double EP « Voyage immobile » en 2022, elle s’est illustrée par des tournées à vélo à travers la France, prouvant que l’on peut conjuguer art, écologie et proximité avec le public.
Son premier album solo, « Liaisons », réalisé par Mehdi Parisot, est un hommage vibrant aux connexions humaines. Enregistré en live, il mêle pop française, influences seventies et une orchestration audacieuse. On y retrouve des titres marquants comme « Dames de craies », « Les beaux sauvages » ou encore « Cœur doré », chacun révélant une facette de son univers, entre poésie, sensualité et engagement.
Artiste plurielle, Clara Néville ne se limite pas à la musique : elle co-signe également la BD « ADAN », prônant une libre expression de l’érotisme féminin.
À l’occasion de la sortie de « Liaisons » le 28 novembre, nous avons le plaisir de recevoir Clara Néville pour une interview exclusive.
Je la remercie d’avoir répondu à mes questions:
J’ai un ami en soirée qui me demande qui vous êtes musicalement parlant, comment puis-je vous présenter ?
On pourrait dire que je suis une chanteuse autrice-compositrice singulière par mon timbre de voix, les sujets que j’aborde, et dont les projets musicaux ont chacun des couleurs différentes. Ma musique se situe entre la chanson française, pour le soin apporté aux textes, l’interprétation et la mise en avant de la voix, et la pop, pour l’énergie, les rythmiques, les mélodies de refrains entêtantes et le format radiophonique des titres. Mon nouvel album LIAISONS a une teinte seventies et groovy.
Vers qui s’adresse cet Album ?
À celles et ceux qui recherchent un album varié où chaque titre a son univers et qui aiment la musique organique, créée et jouée par des musicien·ne·s, et/ou qui apprécient écouter des textes empreints d’une forme de poésie.
L’Album « Liaisons » et la Musique (Le Fond et la Forme)
On retient sur l’album le côté « pop française et références seventies assumées ». Qu’est-ce qui vous a attirée vers cette sonorité vintage ?
J’avais envie de retrouver l’esprit de la musique que j’écoutais beaucoup adolescente : The Doors, David Bowie, Pink Floyd, Queen… Et j’avais besoin d’une énergie de groupe, d’un collectif, pour créer une musique vivante, vibrante, non filtrée, comme on pouvait l’entendre dans les enregistrements des années 70.
L’on perçoit des influences fortes dans votre voix, allant de France Gall à Catherine Ringer. Quelles sont les figures féminines qui vous ont le plus inspirée pour développer votre timbre et votre écriture ?
France Gall ? On ne me l’avait jamais fait remarquer : c’est drôle ce que les gens peuvent entendre parfois ! J’ai certainement été influencée par Michel Berger et son goût des sonorités américaines. Quant à Catherine Ringer, c’est une référence que l’on me donne à presque chaque concert. J’adore cette artiste : nous avons un timbre assez similaire (même si je ne l’entends pas), et son aisance scénique, sa liberté, m’ont toujours inspirée. Mais les voix qui m’ont profondément marquée sont celles des chanteuses de jazz (Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald…) ainsi que Diana Ross ou Tina Turner.
Un morceau comme « Dames de craies » s’aventure vers un esprit très country. Était-ce une volonté d’explorer des territoires musicaux différents sur cet album ?
Ce texte, qui rend hommage aux falaises, nous a naturellement conduits vers des sonorités folk. Le violon de Colin Faverjon apporte une couleur légèrement celtique qui collait parfaitement au paysage. On voulait des cordes, une rythmique qui virevolte comme le vent, et des embruns marins. Je pense qu’il y a tout cela dans la chanson.
Le titre « Je ne sais pas » est décrit comme très intime, évoquant l’enfance. Est-ce le titre le plus personnel de l’album et quelle place a la nostalgie dans votre écriture ?
« Je ne sais pas » parle d’un enfant avec qui j’ai travaillé dans une école. Il vivait dans une famille très précaire, maltraitante, et il menaçait de “se foutre en l’air”. J’ai eu beaucoup de mal à accueillir sa détresse ; je me sentais démunie. Cette chanson a été une manière de métaboliser ce que j’avais vécu. Le titre le plus personnel est néanmoins « Secret », écrit comme une fulgurance en pleine nuit. S’il y a de la nostalgie dans mon projet, elle est dans la couleur musicale plutôt que dans mon écriture.
Engagement et Voyage (Le « Très Mobile » à Vélo)
Après votre double EP « Voyage immobile », vous avez entrepris des tournées à vélo. Qu’est-ce qui a motivé ce choix de la tournée « En Tandem » et quel impact a-t-il eu sur votre relation avec le public et la nature ?
Depuis une dizaine d’années, j’évolue dans ma prise de conscience des enjeux de la crise environnementale. En tant que citoyenne, j’ai adapté mes comportements de consommatrice, et il m’a semblé évident de transposer ces pratiques dans ma profession d’artiste. Pendant le Covid, je me suis rapprochée de collectifs et d’associations. Mes musicien·ne·s partageaient les mêmes valeurs, et un jour, l’artiste Arbas m’a dit : « Et si on faisait une tournée à vélo ? ». J’ai répondu spontanément : « Ok ». Nous nous sommes réparties la recherche de concerts et toute la logistique sur quatre régions. C’était fou ! Une aventure humaine fabuleuse pour le groupe, et un lien très fort avec les publics rencontrés. Nous n’étions pas dans une démarche moralisatrice : c’était fun, intrigant, et un vrai prétexte à l’échange. Les mobilités douces sont plus pertinentes en milieu urbain que rural, mais imaginer de nouvelles formes de diffusion, plus locales, moins énergivores, reste une priorité.
Votre nom de scène fait référence au village familial de Néville, ce « phare qui vous guide ». Comment cet ancrage normand nourrit-il votre poésie, même lors de vos périples dans d’autres régions ?
J’ai grandi en banlieue parisienne mais mon refuge familial est en Normandie. J’y retourne très souvent. Mon oncle est la troisième génération à tenir la ferme de Néville. La beauté brute des plages de galets, l’immensité des falaises, la lumière qui change en permanence… je ne m’en lasse jamais. Cela me remet les pendules à l’heure : je relativise, je ralentis, et le vent circule dans mon imaginaire. Mais lorsque je voyage, je me branche sur les “fréquences locales” : je m’immerge, je découvre, je laisse ma curiosité m’éloigner de mes repères.
Cette démarche écologique n’est pas qu’un geste, c’est une prise de position. Pensez-vous qu’un artiste ait une responsabilité particulière face aux questions environnementales et sociales ?
Non, les artistes n’ont pas d’injonctions à recevoir. Chacun·e est libre d’avoir des engagements ou non, et de choisir de les rendre publics ou non. Mais qu’une personne artiste le veuille ou non, elle s’exprime toujours, au minimum, comme observatrice de la société dans laquelle elle vit. J’admire les artistes, notamment celles et ceux qui ont une grande visibilité et qui défendent des causes humanistes. L’art a toujours été un vecteur de changement dans les sociétés. Mais je respecte aussi les personnes qui préfèrent ne pas s’exposer en tant que militantes, surtout aujourd’hui, où les réseaux attisent beaucoup d’agressivité.
Créativité Plurielle et Sensualité
Vous êtes également co-autrice de la BD érotique ADAN. Comment conciliez-vous ces deux univers : la chanson, plus suggestive, et la bande dessinée, plus graphique, dans votre libre expression de l’érotisme féminin ?
L’érotisme est une thématique récurrente chez moi. Et cela va au-delà de la chanson ou de la BD ! En tant que comédienne, j’avais monté un seule-en-scène (…mais à deux ! avec un musicien) autour de contes érotiques du monde entier. J’ai aussi exploré le cabaret burlesque. La BD est l’expression la plus explicite que j’ai expérimentée, car elle n’impliquait pas mon corps sur scène : je pouvais aller plus loin. Au départ, c’était un terrain d’exploration personnelle, sans revendication féministe consciente. Mais j’ai ensuite compris que j’avais besoin de trouver ma place dans un univers aux codes majoritairement masculins.
Vous semblez aimer casser les codes et les formats (double EP, tournée à vélo, BD). Est-ce essentiel pour vous d’explorer différentes formes d’art pour exprimer l’étendue de votre créativité ?
Oui, c’est essentiel d’explorer. Par contre, je ne m’interroge pas sur les codes à casser. Souvent, je me lance sans trop réfléchir dans un projet qui m’enthousiasme instantanément, c’est assez enfantin comme démarche au départ. C’est après que je mesure dans quoi je me suis embarquée ! Au-delà du bonheur de créer, il y a du travail, du stress, des doutes, et enfin : la joie de partager la création qu’on avait imaginée au départ.
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