C’était un temps où nous, les toujours jeunes d’esprit et fringants teenagers des eighties, découvrions les groupes de cold-wave et de new-wave.
Nous étions quelques copains à être passionnés de musique et à vivre dans une douceur insouciante.
Je n’étais pas pour ma part un rebelle. Je n’ai jamais porté de Perfecto Schott, ni de Doc Martens ; ni jamais versé dans le look punk ou gothique. Mes angoisses existentielles étaient somme toute limitées, principalement liées aux notes déplorables de mathématiques que j’allais encore devoir annoncer à des parents désespérés de me voir devenir un jour un brillant ingénieur en agronomie ou en télécommunications !
Nous ne nous droguions pas, si ce n’est aux sonorités en provenance d’outre-Manche (une Albion pas si perfide que ça finalement) et aux fruits de mer, proximité océane oblige.
Enfin, les rues des villes morbihannaises étaient bien plus sécures que celles des bas-fonds de l’East End dans le Londres victorien.
En clair, rien dans mon apparence, mon mode de vie et mon environnement ne pouvait laisser transparaitre une quelconque appétence pour le cold-wave. Et pourtant…
Je vous parle ici d’un temps où Internet n’existait pas encore; pas de numérique, pas de streaming musical, pas de YouTube. Il ne suffisait pas de quelques clics sur Amazon pour accéder au catalogue mondial de la planète rock. Mais nous avions la télévision (si, si, déjà !).
Les Enfants du Rock, émission à l’esprit rock créée par Pierre Lescure, animée entre autres par Antoine de Caunes (#Houba Houba), Manœuvre et Dionnet (#Sex Machine) ou encore Bernard Lenoir (#Rockline), diffusée chaque samedi soir, de 1982 à 1988, nous permettaient de voir les concerts du Marquee Club, club londonien où se produisirent nombre de groupes de rock (les Stones dès 1962, Bowie, Hendrix, Les Musclés, The Who, le Floyd, King Crimson, Joy Division, The Cure, etc… cherchez l’intrus). C’est là que je découvris aussi un soir de 1984 la voix de Morrissey et le son de guitare de Johnny Marr que je n’ai jamais plus quittés depuis lors…
La Bretagne n’étant pas totalement désenclavée, des enseignes comme la Fnac ne s’étaient en revanche pas encore aventurées dans des contrées aussi lointaines et sauvages.
Nous nous devions donc d’être curieux toujours, et patients souvent pour dénicher le Saint-Grall, l’album dont nous avions lu la critique dans le mensuel Best (que je préférais à Rock&Folk). Parfois, les plus chanceux qui traversaient le Channel devenaient à leur retour plus branchés que le quidam moyen sédentaire. Ils étaient assaillis de demandes pour ramener tel ou tel EP introuvable en France.
Je passais des après-midis entières chez le disquaire Lena Musique, installé depuis 1946 dans le centre-ville d’Auray au 45 place de la République, mais dont le rayon disques n’apparut véritablement qu’en 1973; un lieu incontournable pour qui voulait découvrir les dernières sorties et écouter les groupes en vogue du moment.
A ce titre, je ne remercierai jamais assez Ani Le Briero, jeune femme passionnée par son métier, découvreuse de groupes et de défricheuse de tendances, pour m’avoir dépucelé. Sur le seul plan musical (je vous voyais arriver avec vos gros sabots petits coquinous).
Avant même de connaître mes premiers émois amoureux – il faut bien avouer que la scolarisation au sein d’un établissement catholique réservé aux garçons, et une propension à la peau grasse et donc boutonneuse, ne favorisèrent pas immédiatement le rapprochement des cœurs -, je découvris avec avidité des groupes tels que Bauhaus (« She’s in parties »), The Cure bien sûr; les groupes du feu label Factory (A certain ratio, Section 25, Cabaret Voltaire,…). Aussi Siouxie and the Banshees, The Opposition, Clair Obscur, Japan…
Pendant que la majorité s’acoquinait à la soupe mainstream servie par le Top 50 (#Marteau Esca #Salut les p’tits clous), je m’adonnais à l’écoute de groupes français tels que Marquis de Sade, devenu Marc Seberg et Octobre après leur split, KaS Product et Baroque Bordello.
Nous nous échangions nos découvertes sous le blouson Bombers (vert kaki doublure orange), les enregistrions sur des audio cassettes Sony TDK K super 120 Chrome (le nec plus ultra de l’époque en matière de support audio) et nous les repassions à satiété sur le walkman Sony TPS-L2 de couleur bleu et gris argenté (le must).
Au milieu des années 80, je claquais l’intégralité de mon argent de poche (mes émoluments mensuels s’élevaient alors à 15 francs) dans l’achat de vyniles 33T. Il m’est même arrivé parfois, n’y tenant plus, guidé par un désir compulsif, de claquer en une seule après-midi ma paye de plusieurs mois !
Je me rends compte aujourd’hui, 30 années plus tard, qu’il s’agissait plus en réalité d’un investissement pour le futur que de dispendieuses dépenses.
L’histoire locale retiendra que l’accélération de la dématérialisation du disque a précipité le départ à la retraite de la famille Léna; le dernier disquaire indépendant du Morbihan a fermé boutique le 22 août 2009, après 63 ans de bons et musicaux services rendus à la jeunesse alréenne échevelée (écervelée ?).
Merci pour tout !
Je ne sais pas bien pourquoi je vous raconte subitement ces histoires d’un autre temps… peut-être parce que j’écoutais Motorama il y a deux jours…
Claude Le Flohic