Que faire ressortir d’une interview ? Voilà une vraie question pour qui se lance dans le journalisme musical, même en amateur. Essayez, vous verrez !
J’ai la chance de rencontrer et partager un moment Thomas Boulard aka LUKE, dont nous avons commenté -et aimé pour de bon- le dernier album, Pornographie, dans les locaux d’Ephélide à Paris. Un grand merci Marion, au passage.
Quelles questions poser à un musicien ? Parler musique, succès, show-business ? Eviter les banalités, susciter un dialogue… rien n’est évident !
Je décide de trouver le prétexte du « blind test » en lui faisant écouter des morceaux via mon PC. Et voilà : je lance Mickey 3D, Miossec (« J’ai écouté Boire, c’est ce qui m’a donné envie de faire tout ça »), Jimm, Last Train, The Clash et très vite nous abordons des thèmes plus profonds et qui ont du sens. Pour commenter les chansons, aucune attaque ad hominem, nous sommes d’accord mais nous avons beaucoup à dire sur ces artistes et notre société de façon plus large.
En réécoutant l’enregistrement sur mon H2, je me rends compte que je parle vite, car je suis un passionné, mais lui aussi et ses réponses fusent.
J’ai le sentiment que le courant passe entre nous car nous débattons avec clarté ; de mon côté je suis tout ouïe de découvrir quelqu’un de sensible, cultivé et fort sur ses appuis qui cite Barthes, Péguy, Bourdieu, réfléchit -entre autres- sur la notion de langage et d’expression. Ainsi, dans ses chansons, il déconstruit sa langue et fabrique un verbatim frappeur, presque rappeur, syncopé, impactant pour porter des messages.
Les éléments de pensée et de domination du libéralisme « triomphant » : un autre sujet que nous abordons. On se rappelle ensemble que le 1984 de George Orwell nous semble d’actualité comme il l’était en 1948 (il suffisait d’inverser les deux derniers chiffres) ; la dystopie, c’est maintenant, non ?
Il évoque « les chapelles » de ceux qui chantent en français ou en anglais. « La terre entière chante en anglais, la langue de la domination… ». Pour la langue aussi, partout c’est la guerre, je suis d’accord avec lui. LE combat des années à venir alors que nos politiques parlent à peine la langue de Shakespeare dans les instances internationales. Tant de choses à dire sur ce combat de fond pourtant souvent ignoré et dont Songazine veut aussi être un soldat engagé…
Et en 2015, ses coups de cœur musicaux ? Il m’avoue ne plus vraiment écouter de musiques actuelles, tant il possède cette oreille du professionnel, celle qui décortique chaque couche, chaque piste, chaque rouage puisqu’il a passé tant de temps à y travailler lui-même.
Il garde néanmoins le plaisir d’écouter du classique ou de l’opéra (comme d’en lire les livrets), pour le plaisir, « la complexité inouïe » et au regard de son contexte familial.
Pour revenir à l’album, il souligne son travail sur la langue, les rythmes, les ambiances. « I
l a longuement écouté le silence des autres » pour crier à son tour aussi haut.
Gardez aussi en tête de ne pas confondre le message et le messager, la musique de Luke parle de sujets profonds et durs. « On n’écrit pas comme Verlaine en 2015 », ou plutôt on ne peut plus…
Je le redis, j’ai rencontré un homme brillant et passionnant, nous avons bien échangé ; d’ailleurs il me recommande de lire les ouvrages de Jean-Pierre Ostende et le livre Houellebecq, économiste du défunt et brillant Bernard Maris (mort au champ d’horreur de Charlie H. il y a déjà pile 9 mois !). Je n’y manquerai pas.
En conclusion, j’espère ne pas avoir trahi ce qu’il m’a dit, et je vous avoue avoir un peu sué pour soigner cet exercice de compte-rendu d’interview.
Il s’agit enfin de témoigner de la joie de rencontrer quelqu’un in personam, que l’on estimera désormais autant par ses œuvres que sa personnalité, forte et riche.
Jérôme « embedded reporter » V.