We come to him 10 years later and find the whole thing has soured, because there was no reason for putting him up there…He wants to return to the womb from whence he came. – David Bowie
Je ne sais plus si c’est mon frère ou moi qui avons acheté ce 45T à l’époque. J’aimerais croire que c’est moi, mais jusqu’à là mes achats portaient plutôt sur Michel Sardou (*hum, on va mettre ça sur le compte de mon jeune âge*). Toujours est-il que ce morceau a été un de mes premiers grands chocs, à me demander d’où venaient cette mélodie, ce rhythme et ces paroles. Et d’ailleurs ça a été un choc parmi d’autres… Parce qu’en 1980, on venait d’arriver à Paris du fond de notre province, et j’ai découvert Radio7. Et en quelques mois, mon horizon musical est passé de Moustaki à Bowie en passant par Talking Heads, Jona Lewie, et trop d’autres noms pour lister ici. La transition a été assez intense, et Ashes to Ashes fait partie de la poignée de morceaux qui m’ont durablement marqué, et que j’ai encore énormément réécouté par la suite.
Beaucoup de choses ont été écrites sur ce morceau, sur ses aspects techniques et artistiques. Un des meilleurs articles que j’ai trouvés est ici (click click), il est super bien écrit et complet, et je ne vais pas le repomper ici. Quelques éléments quand même…
Mais comment ça tient en l’air ?
Au départ, le morceau s’appelait People Are Turning to Gold. Bowie avait la musique, et les paroles faisaient “la-la la-la-la-la-la”, littéralement. La mélodie n’est pas trop compliquée en elle-même, mais elle tourne tellement qu’on perd pied à mesure que la chanson avance.
L’intro est un bon exemple: un thème qui tourne sur trois accords autour de Bbm. Simple, non ? Le problème c’est que la mélodie est sur 3 mesures plus une mesure de blanc, et elle tourne sur 3 accords. Répétez le tout 4 fois, et vous êtes déjà perdu. Et pour s’y retrouver, Bowie, royal, fait démarrer le couplet sur le deuxième accord (sur trois) de l’intro. Vous me suivez ?
Le couplet démarre donc en Ab, avec une modulation en Eb (« they got a message from the action man »), puis on passe à… un refrain ? un deuxième couplet ? en tout cas on est remonté d’un ton, en Bb, comme l’intro, donc, mais en majeur cette fois. Autant dire que si vous pensiez avoir des repères, à ce stade, c’est mort depuis longtemps. La mélodie ralentit (avec la première vraie plage de synthé qui permet de souffler entre deux syncopes), et on enchaîne sans s’en rendre compte sur le refrain. C’était bien le refrain, alors. Et là, quand on a enfin une mélodie simple et stable pour se poser, on repart sur la boucle bancale de l’intro…
Le deuxième couplet est à l’avenant. La structure est la même, c’est déjà ça. On est perdu en terrain de connaissance, en quelque sorte. On retourne, on remonte d’un ton, deuxième couplet, et là, paf. Retour du thème de l’intro, sur 4 mesures, les trois accords qui tournent, mais en plus, les paroles, comme une comptine sinistre, se mettent à tourner mais décalées de quelques temps par rapport au thème principal. C’est royal. On a l’impression d’être sur un pneu géant sur un aquaslide. C’est rigolo, ça tourne, mais ça fait peur tellement on ne maîtrise rien.
Côté arrangement, c’est encore plus fort. Bowie attaque les “awful eighties” avec tous les outils amusicaux possibles. Un rhythme syncopé, une guitare perchée tout à droite qui hésite entre punk et reggae, un piano noyé au fond de la piscine (oui j’ai fait exprès), une basse aerophagique qui slappe a contrario… Et par dessus tout ça, Bowie chante parfois à contre temps, cale des triolets hoquetants, et murmure des malédictions gutturales dans le fond. On ne s’étonne même plus de la “guitare” (en fait de guitare c’est un GR-500, un artefact/abus de technologie de cette époque) de la fin qui est tellement bidouillée qu’on dirait une scie musicale tout droit sortie d’un film d’horreur des années 50.
En fait, on se demande comment ça tient. Ca doit être ça, le talent.
Le héros était fatigué
Au niveau des paroles, le morceau est, of course, le pendant de Space Oddity, d’ailleurs c’est Bowie lui-même qui le dit dans les trois premières lignes (“do you remember a guy that’s been/in such an early song/I heard a rumour from Ground Control”). Et autant Space Oddity était un morceau qui élève (uplifting diraient nos voisins du Brexit), voire enthousiasmant comme un feuilleton radiophonique, autant Ashes to Ashes est circulaire, obstiné, obsessif, crépusculaire. Plus question d’exaltation et d’exploration spatiale, Bowie/Tom a été cramé par la vie, il a sombré dans l’addiction, et il veut en finir, retourner à la case départ. Les paroles sont bourrées d’argot de junkie, c’est donc vrai cette histoire que les stars sont toutes droguées ?
So Major Tom thought he was starring in an Arthur C Clarke story and found himself in a Philip K Dick one by mistake, and the result is oddly magnificent. – Tom Ewing
L’imagerie est, à l’image de la musique et de l’époque (et de son costume de clown), flashy, violente et bigarée. Le narrateur essaie de décrocher, il est fatigué, il n’a plus de cheveux… il n’a plus le goût à rien. Le Major Tom est allé au ciel pour toucher le fond.
Pour une analyse plus poussée des paroles, je vous renvoie au (click click) d’au dessus. Apparemment la structure du morceau est basée sur Buddy Holly….? La thèse est surprenante mais intéressante, et semble fondée. Comme quoi il y a toujours des choses à découvrir.
Toujours est-il que Bowie a enterré les seventies, les eighties, et sa carrière en quatre minutes trente.
Il fait quoi, le clown, sur la plage ?
Alien était sorti juste un an avant, et a sans doute influencé un peu la video. Un peu, parce qu’à part cette allusion, on est très très loin d’une imagerie spatiale qui siérait avec le retour du Major Tom. A la place, on a des anglais habillés bizarrement qui déambulent dans des endroits inattendus. D’après tonton wiki, c’était le clip video le plus cher de l’époque. Je vous le mets quand même, hein. On va dire que c’est pour se le remettre en tête.
Encore un anglais qui a oublié de mettre de la crème solaire
Ce que j’en retiens, c’est que les trucages video sont dignes de Platine45, son clown est terrifiant comme tous les clowns, et il avait encore ses dents d’origine. Un bulldozer. Sa mère (véridique) qui s’incruste à fin pour lui demander pourquoi il ne téléphone jamais. Pas une scène d’espace (sauf un plan à la simili Alien donc, à 2:19, tourné sur un mur d’escalade dirait-on). Mais où est passé le budget ? Peut-être dans l’alcool qu’ils ont dû boire pour rester sérieux pendant le tournage ?
En fait je crois que ça va être le blog des videos wtf. A moins que toutes les videos (les clips, on appelait ça, madame) de l’époque soient wtf. A moins que toutes les videos soient wtf. Je veux dire qu’une de mes activités perverses favorites en ce moment, à part comater devant EuroTruckSimulator2 (un excellent simulateur de transport de palettes), est de mettre une chaine de clips mais sans le son, et là, wtf.
Mais pourquoi un clown ?
Je ne sais pas.
Pour essayer d’être sérieux une minute, l’exercice inverse (la musique sans l’image) est évidemment bien plus intéressant, et on trouve sur internet des choses épatantes comme cette version live de l’époque. http://www.bigozine.com/TRKSD/DBfresh/DBfresh15.mp3
C’est sympa parce que ça montre que même Bowie peut oublier les paroles. Et quand j’écoute ça j’ai l’impression d’être un studio de répet avec Bowie, les instruments qui parfois ont des petits soucis, la batterie qui rate presque un roulement mais bon… je suis dans un studio de répét avec Bowie.
Qui s’y frotte s’y pique
Plusieurs artistes ont essayé de reprendre la chanson, et ils finissent toujours par reprendre texto la structure et les arrangements originaux (voir Tears for Fears, les Shins, même Charlotte Gainsbourg que j’aime pourtant plutôt bien mais qui là pour le coup aurait pu s’abstenir), même si l’ambiance générale est parfois un peu plus pesante (Mick Karn) ou éthérée (Warpaint). Ce qui montre à quel point l’original est intouchable. On ne sait toujours pas comment ça tient, mais ça tombe tout de suite si on y touche. Exemple, la version somnambule de Michael Stipe…
La meilleure version cover que j’ai trouvée, et de loin, tourne sur Commodore64. Je suis sûr que Bowie adorait.
Un Tracker!! Trop fort!!!
Speaking of ashes
Il est peut-être un tout petit peu exagéré de dire que Ashes… est le dernier “vrai” morceau de Bowie. Il a quand même commis encore quelques superbes chansons par la suite… mais il est certain que ce morceau, et l’album dont il est tiré, Scary Monsters (And Super Creeps) (vous ai-je dit qu’il était très, très chouette ?), constituent la fin d’un cycle extrêmement fécond.
J’ai plein d’autres albums et de chansons de Bowie, mais je reviens toujours à Ashes to Ashes, c’est un des morceaux les plus joués dans mon iTunes. Et dans le monde réel, j’ai toujours le 45T, tout corné, précieusement rangé dans un carton, et il ne finira jamais dans une brocante. De mon vivant. Après que je sois réduit en cendres, vous en ferez ce que vous voudrez 🙂
Et puisqu’on parle de cendres, celles de Bowie’s ont été dispersées à Bali. La meteo y est plus clémente. Et peut-être qu’on y croise des buldozers roses sur la plage.
-laurent