Dans chaque ville de ce pays, il y a une rue piétonne commerçante qui ressemble à toutes les autres rues piétonnes commerçantes. Bondée le samedi après-midi, elle propose partout les mêmes produits vendus dans les mêmes enseignes nationales. Parfumerie, téléphonie, lingerie, ici tout ce que tu achètes pourra être échangé dans une autre boutique du même réseau, dans une autre ville, dans une rue jumelle dont seul le nom diffèrera. À Limoges, c’est la rue du Clocher.
Maintenant que les présentations sont faites, il est temps de prendre la tangente dans une venelle adjacente, la rue de Gorre. Ça ne s’invente pas. Là, entre deux façades balzaciennes passablement décrépites, se trouve Undersounds. Depuis 2007, il existe, derrière une vitrine large comme un jean slim qui aurait bouilli, un magasin de disques associatif. Ça non plus, ça ne s’invente pas. Ça se construit. Un peu par hasard, un peu par nécessité, entre potes. Comme un pari idiot de fin de soirée qui ne semblerait pas si idiot que ça, finalement, à la lumière du lendemain. De l’équipage de départ, il reste peu de survivants encore à bord, même si les anciens repassent de temps en temps à la boutique. Raf fait partie des fondateurs et j’aimerais bien vous raconter qu’il a le teint buriné des vieux loups de mer et une jambe de bois en cocotier du Groenland mais en fait non, la métaphore filée a ses limites, revenons donc à nos vinyles. Car le vinyle, c’est le fonds de commerce (associatif, donc) d’Undersounds, même si on y trouve aussi des cd, des fanzines et des vêtements. Le vinyle, pour ces gens-là (rien à voir avec ceux de Brel), c’est bien plus qu’un support musical. C’est un objet magique, un totem et surtout un moyen inégalé d’expression artistique pour les groupes. Parce qu’autour du vinyle, il y a une pochette, parfois un livret dépliable, des affiches et même, d’après Raf dont la culture old school est encyclopédique, des fanzines qui chroniquaient l’album en question. Je vous parlerais bien de mise en abyme punk mais on va encore digresser. Le vinyle, c’est grand, c’est beau, ça laisse de la place à l’art graphique et du relief à la musique. Et il en sort tous les jours de nouveaux. Chez Undersounds, ils aimeraient bien pousser les murs pour accueillir dans leurs bacs toujours plus de groupes mais la place, comme le temps bonnes gens, nous est comptée en ce bas monde. Alors, ils privilégient les labels avec lesquels ils peuvent travailler en dépôt-vente ou par échanges. On y trouve le catalogue complet d’une dizaine de labels (Born Bad fait partie de ceux-là) et une sélection des autres. Il y aussi le dépôt-vente des adhérents, car pour acheter comme pour vendre, sur place ou en ligne, il faut adhérer à l’association.
Ces vingt mètres carrés remplis à bloc contiennent une collection plus que fournie de ce qui se fait et s’est fait en punk au sens large, ici ou ailleurs, actuellement ou auparavant. Même si le but de tout ça est bien ici et maintenant. On en a connues, des listes de distro sur papier d’abord, puis en ligne. Alors, pourquoi un magasin ? Pour rencontrer en vrai de vrais gens, tout simplement (comme c’est désuet, me direz-vous). Pour Raf, « ouvrir un local, c’était s’ouvrir au public et montrer qu’à Limoges, il se passe plein de choses. Nous avons un rayon pour les groupes et les labels locaux. C’est un lieu associatif où l’on peut trouver toutes les infos de concert à Limoges mais aussi dans la région. On constate qu’il y a plein d’initiatives en parallèle. Le magasin était un moyen de créer des opportunités pour que les gens se rencontrent. Ce qui est important à nos yeux, c’est de faire vivre une scène locale, au sens large du terme. »
Huit ans après sa création, le magasin est toujours là. Il a été à l’initiative de deux compilations « Limoges Punx ». Une troisième est en projet. D’autres styles que le punk (« de l’indus à la poésie sonore ») se sont bien installés, au gré des opportunités avec les labels et surtout des goûts des adhérents qui s’impliquent ou se sont impliqués dans l’association. Après une période où la présence était entièrement assurée par les bénévoles, l’arrivée de Franck derrière le comptoir a sécurisé les horaires d’ouverture. La vitrine évolue au rythme des arrivages et sur la platine tournent les groupes qui ont tapé dans l’oeil et l’oreille des tauliers et ceux choisis par un client-adhérent qui voudrait bien savoir si la pochette tient ses promesses. Il n’y a ni le ciel ni le soleil ni la mer mais pas mal de galettes à sortir de leur bac et à écouter tranquillement avant de les adopter, un vendeur qui connaît son stock et des flyers qui t’attendent sur leur présentoir. Ça s’appelle un disquaire.
Undersounds, 6 rue de Gorre, 87000 Limoges. Ouvert du mercredi au vendredi de 12 h 30 à 19 h et le samedi de 10 h 30 à 19 h.
Site : http://undersounds87.blogspot.fr
Liste de distro (disques, DVD, fringues…) en ligne : http://undersounds87.free.fr/MAJ_Internet.htm
Henriette de Saint-Fiel