Ils sont légion les groupes pour lesquels les journalistes de la presse musicale ne tarissent pas d’éloges dès le premier single sorti, mais qui, perdant de leur inventivité, ne confirment jamais les espoirs naissants et se tarissent tout court, sans éloge cette fois.

A l’annonce d’un nouvel album de Ty Segall, le chroniqueur malveillant, déclinologue musical patenté, est à l’affût du moindre faux pas du blond californien, persuadé que cette fois, après 20 albums et plus de 30 singles et EPs au cours de ces dix dernières années, pour lui-même et dans le cadre de nombreux side projects (White Fence, Fuzz, Mikal Cronin, Black Time), le manque d’inspiration va bien finir par poindre son nez…

Encore manqué pour cette fois !

La dernière livrée kaléidoscopique du natif de Laguna Beach, ‘’Freedom’s Goblin’’, qui mélange les styles, est la quintessence de ce que son génie produit depuis son premier EP ‘’Horn the Unicorn’’ sorti en 2008.

Comment la créativité de Ty Segall ne se délite-t-elle pas ?

 

UN ARTISTE IRRIGUÉ

A l’image du kinésiologue qui diagnostiquera que vos muscles sont secs, au bord de se crevasser, que votre corps manque d’eau, Ty Segall lui, abreuve son cerveau en permanence, l’irrigue quotidiennement dans le studio qu’il s’est installé dans son antre à Los Angeles. Un cerveau qu’il ne laisse jamais reprendre le dessus ou s’installer dans le conformisme (confort ?) facile. Une émulation permanente qui fait qu’il n’est jamais là où on l’imagine, toujours déroutant et surprenant, sans cesse en éruption créative. Ty Segall est tout à la fois l’eau et le feu en quelque sorte. Halo en fusion, il flambe et irrigue.

La production de Ty Segall n’est pas prête de se ‘’mer d’Araliser’’.

Ty Segall

ATHLETE DE HAUT NIVEAU

Ty Segall travaille son muscle de la créativité comme le ferait un sportif de haut niveau. Lorsqu’il s’éloigne pour un temps de son studio d’enregistrement, délaissant ses guitares et ses amplis, c’est pour s’adonner à son autre passion dans la vie : le surf.

La corrélation entre ses deux passions est évidente : une histoire de déchaînements. De vagues qui déferlent brutalement sur les côtes de Californie comme des riffs puissants aux accents tantôt garage tantôt flirtant avec le stoner.

Quel que soit le spot où il se trouve, Ty Segall surfe au-dessus de la vague, laissant la concurrence dans le sillage, sortant invariablement du tube… et des tubes.

 

SE REINVENTER

Dans son ouvrage ‘’Exercices de style’’, l’écrivain Raymond Queneau racontait 99 fois la même histoire, de 99 façons différentes. Ty Segall aime à (se) réinventer lui aussi et s’en amuse. Fun et cool.

Pour exemple, le titre ‘’Talkin’’ qu’il décline sous différentes formes depuis ses cinq derniers albums.

A l’image du coureur de 100m qui se lasserait de la discipline qui l’a fait roi et serait tenté de s’essayer au 200m, au 400m ou au saut en longueur, Ty Segall se transforme en décathlonien, protéiforme et pluri-disciplinaire, sur les 19 titres que compte ‘’Freedom’s Goblin’’. 

Alchimiste des saveurs, transgressant les règles et les interdits pour libérer sa créativité, Ty Segall nous offre un voyage aux confins du disco, sur une cover du groupe anglais Hot Chocolate (‘’Every 1’s A Winner’’), du funk (‘’Despoiler of Cadaver’’), de T-Rex (‘’My Lady’s On Fire’’), du grunge (‘’Alta’’), du punk hardcore (‘’Meaning’’), de la pop (‘’Cry Cry Cry’’), du fuzz lubrique (‘’Shoot You Up’’), du folk-rock cosmique (‘’You Say All the Nice Things’’), du heavy turbulent (‘’She’’), du free-jazz (‘’Talkin’3’’), du post-punk (‘’The Main Pretender’’) et du progressif sur le dernier morceau, impro de 12 minutes (‘’And, Goodnight’’).

 

INNOVATION

Ty Segall ne se censure jamais. Aucune de ses idées ne lui paraît absurde, irréaliste, futile ou déraisonnable. Son pouvoir imaginatif est hors norme, toujours en éveil, à l’affût. Quand il compose, il a l’âme enfantine et n’intellectualise rien avant de ‘’faire’’. Traînant chez lui ou en tournée avec le Freedom BandMikal Cronin, Charles Moothart, Emmett Kelly et Ben Boye –, les 19 titres de l’album ont été finalisés dans cinq studios différents, à Los Angeles, Chicago et Memphis, orchestrés par Steve Albini, F. Bermudez, Lawrence ‘’Boo’’ Mitchell et bien sûr, Ty lui-même. Un manque de cohérence ? Que nenni, Ty parvient à unifier et rendre le résultat très cohérent.

 

ET APRES ?

Freedom’s Goblin préfigure la possible orientation à venir du californien qui avoue avoir ‘’besoin d’air’’, d’un ailleurs, de ‘’ne plus faire que du rock’’, de s’ouvrir vers d’autres styles et d’autres horizons musicaux et géographiques.

Comme le disait Woody Allen, ‘’il est de ceux qui, à chaque fois qu’on lui demande de choisir entre deux voies, n’hésite jamais, et prend la troisième’’.

La liberté, encore et toujours.

 

Alechinsky.

 

Tournée française : 29/05 Clermont Ferrand, La Coopérative de Mai @Clermont-Ferrand – 30/05 L’Aéronef @Lille – 31/05 La Sirène @La Rochelle – 2/06 @ Festival This Is Not a Love Song @Nîmes – 14/06 Le Bataclan @Paris

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