Cet article est le numéro 9 sur 10 du dossier Denner, Cold Wave Bretonne

New York – Trebeurden – Minsk, comme un tryptique planétaire qui nourrira l’imaginaire tintinophile du voyageur en quête d’émotions nouvelles et le mettra en transe. Musicale bien sûr.

Une trilogie géographique et musicale intimement liée : Big Apple pour la naissance de Denner, Trébeurden pour la maturation du projet (à son retour de NYC) et Minsk pour la réalisation du final de la trilogie.

New York – Trebeurden – Minsk est le troisième album de Denner qui regroupe neuf morceaux issus des deux premiers albums du groupe, Nouvelle-Bretagne et Drifting Canticles, adaptés en version classique.

Artwork 3e album de DENNER - New York-Trébeurden-Minsk - Mai 2018_2

‘’Faire des versions classiques de morceaux de leur groupe est une tentation chez les musiciens rock’’, introduit Gilles (*), ‘’avec souvent à la clef des déceptions douloureuses’’, faisant référence à une promo maison de disques en cours pour un dernier album de Foreigner (Foreigner With the 21st Century Symphony Orchestra & Chorus), sorti en avril 2018, avec ‘’des sortes de violonades balourdes (sic)’.

’’Un plaisir égoïste’’ (‘’Selfish thrill’’) selon Clapton, qui s’y essaya lui-même en 1991 avec l’album 24 nights, enregistré au Royal Albert Hall de Londres’’. ‘’On voulait précisément se prémunir de çà : d’une resucée facile tout en violons des thèmes originaux des morceaux. On voulait une véritable direction artistique’’ explique le chanteur.

Plutôt que de mégalomanie, New York – Trebeurden – Minsk est avant tout l’aboutissement d’une rencontre ancienne entre le costarmoricain Gilles Le Guen et le bréhatin Eric Voegelin, compositeur et musicien, et de leur passion commune pour le rock et le classique (Ravel, Debussy et Satie).

‘’Je connaissais Eric Voegelin depuis 1989. C’est à cette époque que j’avais enregistré une maquette au studio du Point-du-Jour à Saint-Brieuc avec mon groupe de funk répétitif et bancal Transpolis, chez Pierre-Louis Carsin, au moment de la sortie d’une compil Patch & Works 1 (qui sera suivie par Patch & Works 2, compil de groupes costarmoricains). Eric avait un groupe qui s’appelait Sam & Duv (**), dans la mouvance des Talking Heads, Ubik, Nautilus et Marquis de Sade’’.

‘’On avait ensuite perdu contact avec l’épisode New York. Puis on s’est retrouvés dans le Trégor grâce à Facebook vers 2010. D’un musicien rock érudit guitariste talentueux, avec une formation au conservatoire, je le retrouve alors muté en compositeur classique ! Je me souviens qu’il y avait beaucoup de papiers sur lui dans la presse : il organisait un festival de musique classique au château de Coat-an-Noz près de Guingamp, sortait des albums avec son label Taxila, et puis un livre sur ses ancêtres à Bréhat… Je me disais ‘’Mais quel mégalo lui alors ! (rires). Il me surprenait avec toutes ces ressources!’’.

‘’Eric Voegelin c’est un personnage et un amoureux de la musique classique moderne… contemporaine je dirais. Il a sorti sa première œuvre en 2002, des pièces pour piano. Il a aussi enregistré des quintets pour flûte, harpe et trio à cordes, des quatuors à cordes et a écrit un conte symphonique pour orchestre, des concertos pour violoncelle ou piano, de la musique vocale, un requiem. Une de ses pièces a même été reprise comme pièce d’examen à l’Académie de musique de Minsk.’’

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‘’Eric avait entendu Nouvelle-Bretagne et m’avait dit : ‘’C’est bien ton truc-là, j’aime bien le délire… Nouvelle-Bretagne… Le côté américain… C’est un peu ce que je fais moi aussi… J’aimerais bien en faire une version classique. C’était vers 2012, à Trébeurden. Comme des retrouvailles mais sur une nouvelle planète musicale, tout en ayant toujours les codes de nos anciennes références. On parlait de Steve Reich, de début-de-siècle-français, Paul Le Flem, Aaron Copland… De choses musicales que j’avais croisées et que lui connaissait. On avait un nouveau territoire en commun’’.

‘’Déjà, lorsque l’on terminait Nouvelle-Bretagne, le premier album, avec Adam Humphreys à Bruxelles, et maquettait les futurs titres de Drifting Canticles, j’avais en tête cette idée d’une trilogie, là, dans le studio de Gabriel Séverin, Le Laboratoire Central, à Ixelles’’.

L’idée se concrétise finalement à… Minsk en Biélorussie, avec l’ensemble orchestral Minskaya, réunissant treize musiciens biélorusses. C’est dans ce pays, avec lequel il a tissé des liens forts depuis 2003, qu’Eric Voegelin a trouvé des conditions de création et d’enregistrement que la France ne lui offrait pas. ‘’Il aime leur façon d’aborder la musique et leur jeu. Les Biélorusses sont de l’école russe. Ils jouent la partition, rien que la partition. Ça joue vite et très bien !‘’ explique Gilles

‘’De toute façon, sans Minsk, ce disque n’aurait pas existé’’ précise Gilles, ‘’Le faire en France aurait été impossible, ça coûte trop cher. L’idée n’aurait même pas germée dans nos esprits’’ confie-t-il.

‘’Et faire de la cold wave dans un pays russe, ça a quelque chose de singulier et de fort. Ils s’intéressaient au projet – parce qu’ils apprécient le travail d’Eric – mais sans y mettre d’émotion particulière. Ce qui donne une espèce de froideur et de raideur, idéales pour cette musique européenne de la fin du siècle dernier’’.

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‘’Minsk est une ville très touchante, qui a vécu des événements terribles. La ville a été rasée à 80%. Sur la route qui mène de l’aéroport au centre-ville, tu ne vois que des monuments aux morts et des charniers. Lorsqu’on est arrivés en juillet 2017, une des premières choses qu’un chauffeur de taxi nous a dite est qu’ ‘’ici, une personne sur trois est morte pendant la seconde guerre mondiale’’. On était trois dans ce taxi, il nous regarde et nous dit : One, two, dead ! One, two, dead !’’ (***).

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Les sessions d’enregistrement se déroulent en juillet 2017 durant trois jours entre le Sunflowers Studio et le Philharmonic de Minsk. Eric Voegelin a réécrit durant l’hiver les partitions pour cordes, guitares, vents, voix et percussions. ‘’J’avais peur de quelque chose de trop abstrait’’ témoigne Gilles, ‘’Et Eric a pris cette direction de garder les morceaux reconnaissables. Il ne voulait pas désorienter les amateurs du groupe, que les morceaux ‘’restent pop’’ comme il disait. A sa façon je précise !!??! Il a donc fait une orchestration façon lieder romantiques, comme Gustav Malher avec les ‘’Kindertotenlieder’’ ou ‘’Das Lied Von Der Erdre’’, ou les ‘’Wiesendonck’’ de Richard Wagner. Le titre Nouvelle-Bretagne prend même la forme d’un poème symphonique avec une voix contée’’.

Les guitares électriques d’Eric (façon Adrian Belew) et la voix sont enregistrées fin septembre 2017 à Guingamp avec Steeve Lannuzel, le mixage et le mastering sont réalisés fin octobre 2017 au Sunflowers Studios, à Minsk.

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‘’Quand on a terminé l’album, je me suis dit : ‘’Finalement, la trilogie ne s’est pas faite à Bruxelles avec Adam (Humphreys), mais ça y est ! Elle se boucle à Minsk !? C’est comme une espèce d’emballage : Nouvelle-Bretagne, Drifting Canticles et le troisième, mélange des deux premiers, enregistré en Biélorussie. D’où le choix du titre qui dès lors coulait de source. J’aime bien qu’il y ait une beauté logique dans le geste, artistique (sic)’’.

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New York – Trebeurden – Minsk est une réussite totale qui mériterait désormais d’être joué sur scène, à Minsk ou en France.

Віншуем і дзякуем вам, джэнтльмены !

Alechinsky.

(*) Citons aussi : Deep Purple (Concerto for Group and Orchestra, 1969), Roger Waters (The Wall : Live in Berlin, 1990), John Cale (Words For The Dying, 1992), Metallica (S&M, 1999), Peter Gabriel (New Blood, 2000), Yes (Symphonic Live, 2001), Kiss (Kiss Symphonic : Alive IV, 2003), Sting (Symphonicities, 2010), et tout récemment Foreigner (Foreigner With the 21st Century Symphony Orchestra & Chorus, 2018). 

(**) Le groupe sortira plusieurs CD : Labyrinthe en 1996, Opium en 1997, Le jeune homme en colère en 1998.

(***) Un documentaire de 27 minutes retraçant le parcours entre la Bretagne et Minsk a été filmé par le réalisateur rennais Jo Pinto Maïa.

Lien d’écoute de l’album : https://denner.bandcamp.com/album/new-york-trebeurden-Minsk

 

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