Des concerts de jazz j’en ai faits.
Des publics trop bien éduqués à saluer correctement chaque solo, j’en ai côtoyés.
Ce soir au Sunset Sunside, club mythique de la rue des Lombards, je remarque vite que les bons usages ne sont pas du créneau d’Adrien Chicot, qui présente l’album Playing in the dark, sorti en janvier dernier.
On entend dès le premier morceau son goût de liberté, élément fondateur de cette musique, que le pianiste répand entre tendresse et véhémence. Contrairement à ce que pourrait laisser croire le nom de l’album, sa musique a l’ouverture et la vivacité de l’aube. Comme des jeux de lumière, les nuances aisées, entre rythmes effrénés et velouté harmonique, captivent l’audience.
A le suivre déployer l’architecture de ses compositions, je me laisse prendre par le suspens des spontanéités qui se déchainent. Le trio a un son profond, une cadence ultra pulsée. Si je sais que les trois musiciens (Jean-Pierre Arnaud en batteur puissant sur le qui-vive, et Sylvain Romano en contrebassiste aux notes rondement poétiques) jouent ensemble depuis longtemps, je constate surtout qu’ils laissent à l’immédiateté instinctive le règne de leur jeu. Le confort du jazz qui swingue pépère y en aura pas ce soir, faudra aller ailleurs si je veux ronronner… Ici on pousse toujours les installations, on va toujours plus loin et ensemble. Leur passion s’épanche sans jamais s’étancher.
Une fois n’est pas coutume, ce soir nous avons moins souvent applaudi, parce qu’interrompre l’hommage qu’ils ont rendu à l’essence du jazz et le témoignage d’unité qu’ils nous ont offert, pour donner de la politesse n’était pas de circonstance… mais entre chaque morceau, quand c’était notre tour, aux participants de l’esgourde, de donner de notre personne, c’était pas les doigts gourds que nos mains s’exaltaient à se brûler !
Il fait bien soif après un concert comme celui qu’on vient de vivre, et c’est au comptoir qu’on les retrouve, tout en sourire et en partage, comme imaginé à les écouter. J’apprends ainsi que le pianiste a composé Playing in the dark en hiver, et qu’en fin de journée, quand d’autres boivent l’apéro dans la nuit précoce, il était au noir et blanc de son piano, à chercher la justesse de son verbe mélodique, au point de rester des heures, sans même remarquer qu’il n’y voyait plus rien, à créer dans la pénombre. Et la lumière fut !
Jiji de sortie