Elisapie, Inuite du grand nord québécois, et Fatoumata Diawara, grande prêtresse malienne, se sont succédées sur la scène de La Batterie Pôle Musiques de Guyancourt (78) ce vendredi 19 avril. Bizarre comme plateau, me direz-vous. Femmes ; une générosité sans borne ; lourd, comme un passé personnel, un passé ethnique, un avenir climatique ; un désert piquant, sable ou blanc ; une furieuse envie de partager son histoire avec une pudeur proportionnellement inverse aux températures de son pays ; des histoires d’enfants loin de leurs parents biologiques ; une sensibilité à fleur de peau ; des textes d’amour et de révolte ; la langue française ; et le blues. Voilà ce qui unit ces deux artistes.

Elisapie, originaire de Salluit au Québec, a sorti son troisième album The Ballad of the Runaway Girl en septembre 2018. Pour le public français, c’est le premier opus qui franchit l’Atlantique. Et c’est un enchantement.
Le concert s’ouvre sur Qanniuguma, un chant en inuktitut (une des 4 langues inuites) qui nous met d’emblée dans le grand bain nordique. La musique est répétitive et entêtante, faite de nombreux cliquetis tels des étincelles. On s’imagine la nuit, dansant autour du feu pour se réchauffer et invoquant les esprits. Dans Call of the Moose (5ème morceau sur la setlist), chanson folk sautillante en anglais, on retrouve cette atmosphère et ce côté répétitif donnés par les percussions et la guitare saturée.

Elisapie

Le deuxième morceau du concert donne son nom à l’album : The Ballad of the Runnaway Girl. Il a été composé par l’oncle d’Elisapie quand cette dernière était adolescente, et n’est pas étranger à l’amour pour la musique développé par la jeune femme. Puis vient Don’t Make Me Blue, dont les guitares évoquent les plaintes d’animaux sauvages ou les craquements de la banquise.
Elisapie nous explique ensuite une tradition ancestrale inuite : à partir de leur quatrième enfant, les femmes inuites font adopter leurs bébés par d’autres familles qui elles n’ont pas la chance d’en avoir. Ainsi, un nombre incalculable d’enfants ne grandissent pas avec leur fratrie et leurs parents biologiques, mais avec tous les traumatismes tabous engendrés par cette coutume. C’est ce qu’elle relate dans Una (« Tiens » en inuktitut), un morceau lent qui débute de façon très dépouillée, la voix claire et quelques notes à la guitare, telles des touches de couleurs. Le public écoute religieusement. Dans sa famille biologique, le quatrième enfant, c’était Elisapie.

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Après Call of the Moose, Elisapie enchaîne avec une reprise de la chanson folk Wolves Don’t Live by the Rules, composée par Willie Thrasher. Il fait partie de cette génération d’enfants inuits retirés à leurs familles par le gouvernement canadien et envoyés dans des pensionnats pour faciliter leur « insertion » dans la vie occidentale. Elisapie chante ce morceau entraînant en harmonie vocale avec son guitariste, ce qui accroît encore plus la douceur du morceau. Le public ne résiste plus, et reprend le refrain en choeur.


Vient ensuite Darkness Bring the Light. La scène est dans la quasi pénombre, des éclairages bleus et verts ajoutent au malaise créé par l’archet qui caresse la guitare électrique. On est embarqué dans un lieu désaffecté, peu rassurant et glauque. La batterie monte en force, et les deux guitaristes reprennent « Darkness Bring the Light » avec la chanteuse pour ajouter encore plus de puissance. L’atmosphère est un peu lourde !
Le set se termine sur Arnaq (« Femme » en inuktitut) un morceau aux teintes blues qui glorifie les femmes, leurs forces bien cachées, telle que la résilience. La lumière et la chaleur sont revenues, on a de nouveau envie de sautiller. Mais c’est bientôt la fin du concert.

Je vous encourage à (re)découvrir cette artiste dont la voix évoque par moment la délicatesse de celle de Hope Sandoval (Mazzy Star), et est parfois plus rocailleuse et nasillarde. La voir sur scène vous éveille tous les sens : la vue et l’ouïe bien entendu ; le toucher avec la chaleur du feu, le froid de la glace, et des explications de texte qui vous donnent la chair de poule ; l’odeur des belugas qui sèchent ; et le goût de l’omble chevalier.

La tournée française a débuté il y a une dizaine de jours. Elle s’est poursuivie le 20 avril au Printemps de Bourges, puis le 21 à Blois. Elle continue à Lyon le 24, et Pézenas le 25 (en première partie du folk-blues créole de Melissa Laveaux qui saura vous ravir avec ses explications humoristiques entre des textes pas vraiment drôles retraçant les années de résistance du peuple haïtien à l’occupation américaine de 1915 à 1934. Entendue à Paul B (Massy, 91) le 6 avril dernier, et recommandée par mes oreilles, mon corps et mon esprit en pleine communion vaudou).
La tournée reprendra cet été, avec une présence déjà annoncée aux Vieilles Charrues. Stay tuned!

 

Fatoumata Diawara

Monte ensuite sur scène Fatoumata Diawara. On oscille entre musique traditionnelle sub-saharienne et blues. Sa voix est parfois rocailleuse, parfois plus solaire et aérienne. C’est le genre de concert pendant lequel la musique ne s’arrête jamais (un truc à ne pas s’y retrouver dans la setlist, mais preuve de la générosité ambiante). Les intermèdes musicaux sont des occasions pour Fatoumata de nous exhorter à accepter nos différences pour créer de la diversité, et à utiliser nos énergies pour sauver la planète que nous laisserons en héritage.
Elle profite du concert pour remercier Fela Kuti d’avoir inventé l’afro beat. Elle rend hommage à Nina Simone, une des plus grandes voix de l’Histoire. Puis à Matthieu Chedid.

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Fatoumata Diawara est en véritable communion avec ses musiciens et le public. Elle déborde d’énergie, respire la joie de vivre, traverse sans cesse la scène de cour à jardin, se rapprochant au plus près du public, déplorant les barrières qui la sépare de ce dernier, se laissant parfois emporter par une danse proche de la transe.

Fatoumata Diawara vient tout juste de débuter une tournée européenne qui passera par de nombreuses villes françaises. Elle sera à Paris dans la mythique salle de L’Olympia le 10 mai, et poursuivra par de nombreux festivals. Courrez-y pour vous injecter un fix de bonne humeur. Je ne peux que vous conseiller le 11 juillet lorsqu’elle partagera le plateau avec Melissa Laveaux à Arles.

Tournee Fatoumata Diawara

 

Générosité, chaleur, éveil des sens et large palette émotionnelle et colorimétrique étaient les maîtres mots de cette soirée.

Texte et photos : Charlotte Poul

Sites des artistes : Elisapie, Fatoumata Diawara

Merci à Vincent @Yotanka, et à La Batterie Pôle Musiques de Guyancourt

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