Marianne Faithfull

Et puis merde ! Ce grand disque est l’inverse du politiquement correct, du bien propre et trop poli, du lisse et du sans saveur. Marianne F. vous attaque aux tripes et à la provoc’, de sa voix éraillée qui sent le cendrier et le retour affligé de désintox. Il saute aux oreilles qu’elle en a connu plus que vous et moi réunis, des nuits blanches et des gueules de bois…

Et cette voix justement en est imprégnée, imbibée, comme un coton d’éther ou de whisky fort un café irlandais brûlant de fin de soirée. Le titre de l’album « Broken English » est extrêmement bien choisi, car cassé est son discours, tailladée sa syntaxe.

Ecoutez les paroles de chaque chanson, voilà de la poésie noire où l’on vous parle de la douleur et où l’on sait parfaitement que les antalgiques ne feront plus effet. Rien ne serait resté intact chez la jolie Marianne qui chantait « As Tears Go By » en 1964, nous montrant son doux visage et ses yeux innocents alors qu’elle couchait avec un envoyé du diable et un prince des ténèbres ? Pierres qui roulent amassent les douces.

Ce qui est certain est qu’elle a vu les volcans de la dope qui brûle, sait que seringue ne rime pas avec meringue et pratiqué les descentes tout schuss dans la migraine. Celle qui fait mal derrière les yeux. Qu’elle a connu la désillusion, la trahison, les larmes et le goût amer des paillettes avalées de travers. Sexe, drogues et bosses pas drôles.

Mais pour ce disque, chapeau bas, elle n’a rien à démontrer, on la croit sur parole : elle a sa qualification pilote en altitude, de double looping de la défonce. Côté musique, beaucoup de synthétiseurs et de sons originaux, des mélodies simples et accrocheuses. Marianne F. chante et c’est d’une élégance rare.

Quand elle reprend « Working Class Hero », chaque phrase scintille, gravée dans la pierre à l’acide sulfurique, un tatouage sur la peau blanche de nos références. Formidable est le morceau de bravoure, d’une grossièreté frontale, ce « Why’Dya do it ? » qui crache le dégoût d’une femme trompée par un queutard à forte notoriété et petit courage. Cette chanson, censurée dans certains pays à sa sortie, déroule sur son rythme reggae et accroche le chaud lapin par les cacahuètes et, à mon avis, il a le front rouge et les testicules douloureux pour une bonne paire de semaines. Six minutes de rage en bigoudis, la clope au bec et un tesson de bouteille à la main.

Et la déchirante « Ballad of Lucy Jordan » ? Imprimez les lyrics et réécoutez ce chef d’œuvre au moins une fois par mois. Emotion en shoot, poudre non coupée. Marianne F. est aux bonnes mœurs et aux esprits chagrins ce que le tire-bouchon au Château-Margaux : une ouverture indispensable.

We love you, Madame F.

Jérôme « broken French » V.

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