La voix de Beth Hart retentit pour la première fois à mes oreilles un soir de 2011, diffusée dans l’émission radiophonique nocturne WRTL de l’ami Georges Lang. J’en fus immédiatement bouleversé, peinant à trouver le sommeil cette nuit-là.
Je fus naturellement du premier concert parisien le 6 mars 2012, dans cet écrin confiné du New Morning, littéralement scotché par l’amplitude de la voix de la californienne et des riffs blues-rock distillés par les deux guitaristes virtuoses, Jon Nichols, fidèle parmi les fidèles, et Josh Gooch, avec qui je taperais la discute au bar après le concert. Puis il y eut la Cigale le 20 juin 2012 et l’Olympia le 28 mars 2013, concert empreint d’émotions fortes de par la présence dans la salle de la mère de Beth.
Retour en arrière : la californienne, originaire de Los Angeles, débute réellement sa carrière en 1993, année de sortie de son premier LP ; suivi en 1996 de l’opus « Immortal ». Court-circuitant le « club des 27 », elle interprète en 1999 (à 27 ans donc) le rôle principal dans la comédie musicale « Love, Janis » et sort cette même année un nouvel album (« Screaming’ for My Supper »), qui atteint le Top 5 aux States.
Le succès est important outre-Atlantique, jusqu’en 2005 où Beth connaît un coup de moins bien, passant de la crête à l’abîme : mushrooms trip, girolles poudrées en amuse-bouche, coulemelles cocaïnées au dessert, et bises à la bouteille. Very bad trip. La rémission se produit un soir lors d’un concert sold-out donné au Paradiso à Amsterdam, où, dira-t-elle plus tard, « Le public m’a fait pleurer ce soir-là, il connaissait les chansons par cœur et chantait. Je me suis sentie revivre, j’étais sur un nuage ».
L’album « Don’t Explain », sorti en septembre 2011 en collaboration avec Joe Bonamassa, guitar-hero blues-rock de son état, booste drastiquement la carrière de Beth; la reprise de Tom Waits, « Chocolate Jesus » surpasse la version originale du créateur de Marquee Moon, et celle d’Etta James, « I’d rather go blind », dresse les poils du plus glabre des quidams amateurs de blues songs, la positionnant comme l’égale des plus grandes : Billie Holliday, Etta James, Aretha Franklin et Janis Joplin.
Après « Bang Bang Boom Boom (2012) », « Seesaw (2013) » et l’excellent « Better Than Home (2015) », il faut bien l’avouer, certaines chansons du nouvel album « Fire on the Floor », paru le 14 octobre dernier, ne nous avaient pas pleinement convaincues (« Coca-Cola », « Let’s get together » notamment).
L’occasion nous était donnée de faire un état des lieux puisque Beth Hart était ce samedi 10 décembre 2016 en concert au Plan à Ris-Orangis dans le sud parisien.
Robe à paillettes, scintillante de mil feux, bas résilles, talons hauts. Beauté sublime et déchaînée. Si Beth était animale, elle serait panthère.
Dès les premiers instants, la voix tantôt puissante, tantôt apaisée, jazzy, soul ou résolument blues-rock, s’étalant sur trois octaves, efface tous les doutes.
Beth Hart n’est jamais aussi à l’aise que sur scène. Enregistrer dans un studio l’engonce et l’aseptise.
Depuis ce soir de 2005 au Paradiso, la scène opère comme une catharsis pour la belle; une purification de l’âme, un moyen de se libérer de ses démons.
« La musique est une façon pour moi de me raconter. Elle est comme une oreille attentive, et si j’ai peur, elle me permet d’aller au-delà, de la surmonter ».
Beth ne cache rien de ses émotions personnelles et parvient aujourd’hui à les retranscrire dans ses chansons, non par envie, mais « parce que j’en ai besoin ».
Ainsi, « Sister Heroin », en hommage à sa sœur junkie décédée du SIDA, est poignante d’émotion. Ou encore « Tell her you belong to me », ballade imparable, raconte ce jour où, petite fille, vers 5-6 ans, son père a quitté sa mère pour une autre femme, et les attentes de cette petite fille qui, même si son papa n’est plus là, n’abandonne pas l’idée qu’il reviendra dans sa vie.
C’est indéniable, la scène – elle est en tournée près de 9 mois par an à travers le monde – est ce qui sied le mieux à la californienne, lui procurant « l’excitation et l’adrénaline, deux sentiments qui m’apportent une grande joie ». Et catégorique : « Je suis plus heureuse en tournée que chez moi. »
Le reste du temps, Beth passe des journées entières à écrire, « ce qui va de pair avec ce sentiment de tristesse que j’ai en moi, idéal pour écrire, parce que je peux ainsi extérioriser cette peine. Il n’y a pas que la tristesse qui m’inspire mais aussi le retour à la simplicité, à la vie normale », transcrit sur « No place like home » (« It’s been a long time on the road/Without a soul to call my own/I’m tired of talking to the cards/I miss the flowers in the yard »).
Lorsque Beth s’installe au piano, un esprit de religiosité s’insinue dans une salle du Plan favorisant la promiscuité avec l’artiste, donnant l’impression que le band s’est installé dans votre salon.
« It is so cosy tonight, we are so close together » exprime-t-elle d’ailleurs dans un élan mâtiné d’excitation et de sincérité.
Paillettes, émotions, sincérité. C’était Noël avant l’heure ce soir.
Epilogue :
23h30. Le parking autour de la salle de concert est à présent désert. La tentation est trop forte de se diriger vers le bus de la tournée pour tenter de voir la belle de scène. C’est d’abord Scott Guetzkow, son mari et road manager, qui déboule, colosse blond portant catogan, cool, paluches comme des battoirs, avec qui j’échange quelques mots.
Puis, bien plus tard dans la nuit, Beth arrive, emmitouflée. « Aren’t you too cold ? » s’enquiert-elle avec bienveillance. Quelques mots, des sourires, une photo et là voilà qui disparaît déjà dans le bus en direction de la capitale où elle sera sur la scène de l’Olympia mardi pour la dernière date de sa tournée européenne.
0h45. Il fait 3 degrés sur le parking, je suis transi de froid. Mais heureux.
Claude « Groupie » Le Flohic.