Bastien Lucas, on vous en a déjà parlé sur Songazine, juste ici. On avait déjà repéré l’intelligence de sa plume et sa voix de caresses avant même qu’il ne rafle le Coup de cœur de l’Académie Charles Cros avec son Fracanusa, album paru le 21 décembre (solstice chanté par l’artiste, piste 7 !) 2018.

Sur la pochette, le profil du visage de Bastien en bleu sur fonds blanc, le regard au loin, annonce un beau moment de mélancolie douce.

Aimer

 Dès l’ouverture, l’on perçoit la finesse de sa poésie : l’écriture de Si tu est comme un exercice de style dont la parfaite maîtrise efface l’idée de toute contrainte. Et l’artiste de prendre des libertés en gonflant petits à petit les mots pour les transformer, parce qu’un mot se cache toujours derrière un autre, au fur à mesure que la musique prend aussi de l’ampleur, jusqu’à un pont musical qui ressemble déjà à une apothéose.

Il y a des Félins dans tous les pays du monde, des « faits l’un pour l’autre », dont les caresses sont chaudes comme les voix d’un chœur gospel, et l’amour évoqué dans A l’autre bout du globe semble être de ceux-là, de ces « corps à corps parfaits » dont le souvenir reste inexorablement imprimé sous nos paupières, et qui réveillent une douleur « les yeux d’un bleu ouverts sont un peu violés de ce qu’ils endurent », celle de l’absence.

Combler l’absence

Il m’a semblé te voir pour laquelle Bastien Lucas a invité son excellent guide Daran à partager le micro, nous plonge dans un incipit de roman que Paul Auster aurait pu écrire en suivant une silhouette dans la ville, qu’on imagine moderne – New York, why not, pour retrouver les USA du titre? – et questionnent le manque de l’être aimé et l’obsession envahissante de l’absence, alors que Jamais Toujours cherche des réponses au vide laissé par un être cher, parti certainement trop tôt et pour un trop long voyage.

Partir, revenir…

…pour se réfugier là où on se sent bien : le refrain d’Où aller grossit comme une vague qui gagne petit à petit en puissance, et qu’on aura plaisir à regarder s’écraser sur les falaises, depuis notre maison-cocon vue sur mer, bien au chaud derrière la fenêtre.

L’audacieux Bastien Lucas revisite la musique de Gabriel Fauré avec Petits (L’Horizon chimérique) sur les paroles de Jean de la Ville de Mirmont. Une chanson de marin, une odyssée mythologique, un voyage initiatique ?

S’émerveiller

Jamais une chanson sur la neige n’aura semblé si chaleureuse : 21 Déc est une chanson pour tous, qui à son écoute, nous unit autant que notre émerveillement face à ces paysages « Les petits et les grands sont tous des enfants ». Vivement le solstice d’hiver.

Se remettre en question

Cela semble être intrinsèque au métier d’auteur-compositeur-interprète, cette constante remise en question, et Bastien Lucas n’y échappe pas. Pourquoi est MON coup de cœur absolu de cet album. Une chanson d’humilité, de questionnements intenses et intensifs sur les raisons de son art.

Alors moi, depuis mon clavier d’ordinateur, mon cher Bastien, je vais tenter de répondre à ta question « Pourquoi écrire une en plus ? ». Parce que tu DOIS exploiter cette habileté à jouer avec les mots (je veux continuer à m’exclamer « mais quelle intelligence ! » à chaque nouvelle phrase que tu chantes). Parce que ta voix est unique, tendre et apaisante. Parce que quand tu n’hésites pas à multiplier les tonalités pourvu qu’ils servent ta poésie, notre oreille habituée à une musique plus codée, plus commerciale, s’y perd parfois. Et toi, tu dois continuer à nous offrir ce délicieux abandon.

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En quarante petites minutes d’écoute de Fracanusa, on ressentira les quadruples effets bénéfiques d’avoir lu un bon roman, puis un recueil de poésie, d’avoir regardé un film, et écouté sa musique préférée.

Violette Dubreuil, « Pourquoi ces notes rabâchées, pourquoi elles me font pleurer » ?

*Fracanusa est la contraction des noms des trois pays qui ont permis à cet album de naître, la Fra(nce), le Can(ada) et les USA.

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