Bacha Mar-Khalife

En ce matin du 16 octobre 2015, Dieu se tenait assis, fatigué, une main étalée sur son large visage. Les enfants d’Occident appellent ça un « facepalm ».

Cela signifie : bon sang, mais quelle bêtise que ce que je vois, qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu pour atteindre des sommets de bêtise pareils !

Mais là, c’était Dieu himself qui avait un coup de barre, un moment de solitude.

Oui ! Il avait juste relu le dossier « Moyen-Orient », mis à jour avec soin par son conseiller ad hoc. Un ange un peu faux-cul, ceci dit.

En son nom, on se flinguait chaque jour un peu plus dans ces belles terres qu’il avait tant aimées et parées de beaux atouts : celles où les oliviers poussaient, le jasmin embaumait et flottaient les effluves de citronniers, sur les bords fleuris de ce côté de la Méditerranée. Partout : guerre et haine. Entre le Tigre et l’Euphrate zigzaguaient les missiles, explosaient les mines, ricochaient les balles. Dans un espace allant de la Syrie  à l’Égypte, et jusqu’aux confins du Maghreb, puis à l’Est comme à l’Ouest du Jourdain et partout sur les sentiers empruntés par son fils il y a deux mille ans, ce n’était que bêtise, répression, égorgements, détournement des messages sacrés par des crétins sanguinaires, dictatures, corruption, manipulations, restriction des libertés, le tout poussant sur les routes et les mers, toujours plus au Nord, des hordes de réfugiés de toutes confessions. Voyez mon beau et fin Liban, l’Irak si complexe, la Syrie colorée et l’Iran que j’aimais, se désolait-il ! Que font-ils ? Que sont-ils ?

Et sa chère Palestine, déchirée à jamais, explosée et foulée aux pieds, il ne pouvait y songer sans avoir la gorge serrée. Sans parler de Jérusalem sous tension ou Tel Aviv ensanglantée. Sans parler des coptes massacrés, de la fin inéluctable de cette belle entente de tous ceux qui le vénéraient de façon différente mais au fond tellement identique. Sans parler de…

Bref, Dieu était en mode « facepalm » total, quand son conseiller musical, en contact avec le label Infiné, lui apporta le tout nouvel album- sortant le jour même- de Bachar Mar-Khalifé, aka Ya Balad.

Voyant Dieu dans cette posture, il préféra ne pas le déranger et glissa le CD discrètement dans la chaine hi-fi (au son divin, cela allait de soi).

Le premier morceau : Kyrie Eleison, dans sa version nouvelle fit sursauter l’Eternel mais il l’apprécia immédiatement, comprenant l’amertume et les sentiments exprimés.

Touché, il écarta les doigts et son œil regarda la track list de l’album, que son conseiller avait posée avec tact devant lui, sur son bureau. 11 titres et 47 minutes de musique variée, colorée et créative. Il y perçut les parfums suaves de l’Orient, les accents de l’arabe chanté avec subtilité, mais aussi la puissance du piano et les arrangements modernes. De belles voix pures et sincères. Des langueurs, des vapeurs et des saccades plus rapides. Des reprises de chansons populaires égyptiennes ou libanaises ou de vraies créations mélodiques, il aima tout et écouta le CD en entier.

Il y entendait parler d’amour, de jeunesse et d’espoir, le beau Liban y était évoqué par ce fils Khalifé, une famille qu’il connaissait bien évidemment et qui partageait le don de la musique et une intelligence humaniste réelle.

De son doigt il fit « replay » 3 fois de suite.

NB : quand Dieu montre de son doigt sa chaîne hi-fi, et elle fait replay toute seule, mais que croyez-vous, bande d’apostats !

Et ce matin-là, Dieu se remit à croire (un peu) aux hommes.

Jérôme « I love Beyrouth » V.

 

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