Axiom d'Archive

A l’écoute du dernier album d’Archive Axiom, j’avais commencé une chronique enthousiaste portée par la joie de retrouver le collectif après l’excellent Whith us Until You’re Dead, le plaisir d’entendre à nouveau Pollard Berrier, Dave Pen, Holly Martin et Maria Q. Je me suis ravisée : Darius Keeler et Dany Griffiths ont marié leur album à un moyen métrage pour former une œuvre globale, un « side project » indivisible. Qu’à cela ne tienne, je réserve mon jugement et attends de voir le film.

Car pour l’occasion Archive a fait appel à un second collectif, espagnol cette fois. NYSU s’est donc occupé, une fois la B.O. terminée de mettre une image sur une musique. De lui donner un corps visuel, de prolonger le concept album.

Une tension très forte parcourt l’ensemble de l’album, servie par de longues plages instrumentales, rendant certains passages carrément anxiogènes. D’une manière générale, Axiom nous fait partager un panel d’émotions fortes. De la mélancolie sublime de « Distorted Angel » à la douce résignation de « Shiver » en passant par le cri de désespoir de « Baptism » et le très angoissant « Axiom »

Ces émotions sont largement décuplées par le moyen métrage et une fois qu’on a considéré l’œuvre dans son ensemble, c’est à dire la B.O. plus le film, on ne peut plus les dissocier l’un de l’autre tant le résultat est cohérent, évident. D’ailleurs il est maintenant difficile pour moi de parler de compos et pas de scènes. La musique et l’image fonctionnent en symbiose parfaite et se nourrissent l’une de l’autre pour créer un univers, un concept dans lequel les émotions sont ressenties à leur paroxysme.

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Un axiome est, en mathématiques comme en philosophie , un énoncé évident, non démontrable et universel. Il est le principe de la raison suffisante.[i]

Axiom est une dystopie qui repose sur un paradoxe. Alors que les dystopies traditionnelles poussent leur personnage à ouvrir les yeux, à se rendre compte, à prendre conscience, les résistants d’Axiom sont les sourds appelés « Deaf Angels ». La surdité n’est pas ici le corollaire de l’inconscience ou de l’endormissement. C’est un choix délibéré, un acte de résistance très fort qui pousse, pour la liberté d’être et de penser, à faire souffrir son propre corps. Alors que la cloche résonne et que le prêcheur impose (avec brio) sa vision idéale du monde,  qui est dans les faits totalement liberticide, la seule résistance se trouve dans le silence, dans le fait de se couper du bruit environnant, de devenir inaccessible à la propagande. Curieux parti pris, à première vue, pour un collectif musical, mais qui se révèle, quand on y réfléchi deux secondes, brillant.

Ce monde, étouffé par le bruit ambiant, où la pollution sonore sert les idées les plus sales, où le chant des sirènes finit par te dévorer, existe déjà. Nous ne vivons pas dans une société coupée du monde, fermée sur elle-même et privée d’accès à la connaissance comme c’est le cas dans d’autres régions du globe. Nous vivons le contraire, nous sommes noyés dans un fond sonore permanent qui nous empêche d’écouter. Ce monde où les cloches résonnent, on en fait partie, j’en ai conscience et, en silence, je l’observe. Archive fait plus, il le peint, il le montre haut et fort. Il prévient.

A la fin du visionnage, me voilà plongé dans un état second où la tristesse de se contempler dans ce miroir tendu se partage avec le soulagement de constater qu’ils existent encore, les Artistes, ceux qui ne nous mentent pas, ceux qui luttent avec les idées, les sensations, la création.

Pour certains Axiom ne sera traité au mieux que comme un très bon album, au pire que comme un produit de consommation musicale parmi d’autres : écouté, vaguement apprécié (selon qu’il déçoit parce que « quand même ce n’est pas exactement ce que fait le collectif d’habitude », ou qu’on consente à reconnaître la qualité de la composition), finalement digéré et enfin évacué pour céder la place à la prochaine sortie du moment.

En ce qui me concerne, Axiom me hantera encore très longtemps. Il m’a fait réfléchir, intensément, profondément. Il a trouvé dans mon esprit sa place aux côtés de 1984, du Meilleur des Mondes, d’Orange Mécanique. On le reconnaîtra, dans le futur comme ce qu’il est : un miroir tendu à bout de bras, une mise en garde terrible et magistrale.

En bonus, la scène d’intro du film : Distorted Angels

A lire une interview de Darius Keeler :

http://blog.lesoir.be/frontstage/2014/06/04/axiom-ou-le-monde-terrifiant-darchive/

Hédia Z.

[i] Cf. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/axiome

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