La scène hard-rock-métal, depuis qu’elle existe (Led Zep et Black Sabbath, en gros, certains diraient depuis Helter Skelter des Beatles) s’est inspirée d’univers divers, de “sous-cultures” plus ou moins underground devenues, au fil du temps et par la grâce (ou à cause) d’Hollywood et de certains éditeurs, mainstream.
Songez plutôt : Led Zep et ses références au Seigneurs des Anneaux de Tolkien ; Black Sabbath puis Metallica et leurs morceaux hommages à Lovecraft ; Le sword & sorceress de Conan le Barbare directement traduit en musique (lourde) par Manowar ; Tout récemment la grosse blague de Galactic Empire qui reprend les thèmes de Star Wars en hard rock FM instrumental…
Il manquait néanmoins, à ce panthéon de la culture pop-geek infusée dans le rock, tout l’univers bagarreur, paillard et rageux des pirates, flibustiers, et autres corsaires. Et ce n’était pas Jack Sparrow/Johnny Depp et son cover-group Hollywood Vampires qui allait pouvoir relever le gant.
Du coup, c’est Alestorm qui s’est chargé, avec brio, du sale boulot.
Pirates des Caraïbes sous speed
Alors bon, quand on découvre ça, et qu’on voit les pochettes très “jeu de plateau pour nerd de 17 ans qu’on était”, on s’attend à une sorte de Manowar marin, bourrin, premier degré, avec ses bons moments épiques et ses moins bons paillards… Et en fait non. Pour tout dire, on se prend une belle petite claque en mode “Rackham le Rouge s’est mis au métal et bon dieu ça l’fait !”
Alestorm donc, envoie déjà un nom rigolo qui parle à l’imaginaire métalleux (au Hellfest on boit pas du Gin Tonic hein), et surtout, propose un savoureux mélange de musiques celtico-irlandaises (les gars sont Ecossais, de Perth) dopées au speedmetal, au hardcore, et même au ska, et aux références qui vont bien, le tout enrobé dans un humour second degré qui sied au pirate qui sait qu’il est condamné à la potence, et qui en rit, et qui t’entraîne dans sa dernière razzia avec une tape dans le dos de franche camaraderie. Et ça fait du bien.
Des pirates bourrés… de références !
Côté références, il faut dire que les moussaillons savent caresser dans le sens du poil de barbe, pour nous convaincre de rejoindre leur équipage de loqueteux sympas. Par exemple en faisant des petites intros en musique 8-bits façon Nintendo des années 80 (Mexico, 1741). Par exemple en roulant des riffs galopant sur des chevaux (marins) comme seul Iron Maiden savait le faire (No Grave but the Sea). Par exemple en mixant accordéon totalement bretonnisant et riffs évoquant les plus belles heures de la New Wave of British Heavy Metal aka Judas Priest (Rage of the Pentahook).
Ils préfèrent l’humour en mer
Côté second degré, Alestorm réussit là où beaucoup de groupes se prenant trop au sérieux (Manowar, encore eux, pour ne pas les enfoncer) ont échoué : susciter l’adhésion et la connivence par le rire, là où leur style un peu brut de décoffrage et bourrin risquait de dérouter.
D’abord, à grands coups de clips kitsch avec des nains et de fausse-belles-nanas, la bonne tête de pirate-mousquetaire du chanteur et leader Christopher Bowes invite plutôt à lui payer une bière au port en mode bon copain qu’à lui jeter de l’ancre à la figure.
Ensuite, certaines paroles, perdues au milieu de refrains-hymnes fédérateurs, distillent une petite distance humoristique qui fait tout le sel de l’écoute. Ainsi sur Mexico, parmi les arguments qui militent en faveur de l’invitation au voyage :
The wenches they are plenty,
the alcohol is free,
The party lasts all through the night,
…and the alcohol is free.
Voilà : en une petite répétition qui n’a l’air de rien, Alestorm nous fait un petit clin d’oeil et tout de suite on sent qu’on est potes et qu’on est là pour se marrer dans un univers commun, celui des Frères de la Côte, et de la bibine qui coule à flots dans les festivals d’été.
Parfois, quand même, cet humour est à deux doigts de déraper. Dans F…d with an Anchor (comme Mexico, présent sur le dernier album No Grave but the Sea chez Napalm Records), on est très proches du Schlager allemand, voire du Patrick Sébastien, que de la bonne zique. Reste que même au bord de ce précipice, on est retenus par le col par les sonorités celtiques et la caisse à double pédale. On a eu chaud.
Et le Pirate Metal est né
C’est en fait tout un style qui est posé par Alestorm, et qui manquait, et qui a maintenant sa place dans l’univers métal comme tous les autres : le Pirate Metal. Certes sans sérieux, certes sans finesse apparente, mais cela fonctionne pour les oreilles, le handbanging et les po-go, alors pourquoi se priver.
Parmi les pépites qu’on ne se lasse pas de réécouter enfermé à fond de cale, Keelhauled, presque 10 ans après sa sortie, fonctionne à merveille avec son violon irlandisant et ses yo-ho-ho (et bien qu’on ne soit pas fan de speedmetal), Alestorm la chanson éponyme de 2017 s’ouvre comme un Tri Yann et se poursuit comme un Sepultura, la cavalcade de Drink ressemble à un rockabilly qui aurait trop abusé des festnoz, Shipwrecked ressemble à ce que Matmatah aurait pu faire s’ils avaient été métalleux. Dans l’ensemble, seul Hangover (album Sunset on the Golden Age, 2014) dénote, sonne faux et racoleur pop, justement parce que l’humour n’y est pas perceptible.
Bref, on a hâte de voir les gaillards sur scène, après les avoir ratés au Hellfest 2015 (en replay sur Arte, quand même !!). Ca tombe bien, ils sont au Download le vendredi 15 juin 2018 !
Pierre