Cet article est le numéro 2 sur 5 du dossier Portishead Mysterons

Mysterons du soir.

La nuit allait tomber. Elle avait la gorge serrée. Ne savait pas pourquoi. Ou plutôt si.  Bien sûr que si. Mais elle avait arrêté d’y penser. Enfin, essayé. Essayé très fort. Mais quand le soir arrivait, à pas de loup carnassier, la douleur diffuse devenait plus aigue. Et l’hiver, à Bristol, le soir arrive très vite.

Poser son vinyle 33 tours « Dummy » sur la platine Crosley. Face A. Positionner le bras avec délicatesse sur le sillon. Attendre le début, d’un œil précis. Toujours ces chansons, pleines de mélancolie. Beth Gibbons et sa voix traînante. Paroles à la fois floues mais  touchantes. Elle aussi, Beth, devait savoir comme ça fait mal. Sœur d’infortune, j’écoute ta complainte…

Tout ce travail pour réaliser ces chansons superbes. Et après le studio, les concerts. Des années et des années. Répéter cette douleur autant de fois, avec sincérité et force. Cela devait être épuisant. Ou bien, le métier lissait-il tout comme un galet ? Un soir à New York, un autre à Manchester et une tournée qui finit à Sydney ou un festival d’été à Paris, devant une foule bigarrée. Comment chanter la grise dépression devant 50000 personnes en tongs ? Et ils sourient, sont à l’aise, une bière dans une main et un smartphone dans l’autre ? Elle n’en savait rien et à vrai dire s’en moquait éperdument.

Le charme de Portishead opérait encore sur elle, dans la pénombre, toute seule, un autre soir d’hiver solitaire à Bristol. Une troisième cigarette. Un deuxième verre de Merlot.

Remettre la face B. Elle se termine. Souffler sur le disque, doucement. Remettre la face A, encore. Elle se détendait maintenant. Le Merlot et la cigarette agissaient ensemble. Pelote de nerfs relâchée. Elle avait (un peu) arrêté d’y penser. Parfois, cela marchait d’essayer plus fort.

La nuit est tombée. L’hiver s’est apaisé pour un temps. Pluie et vent sont un temps sur la touche « pause ». La musique la berce, les chansons s’enchaînent avec grâce. La platine Crosley tourne avec la précision d’une horloge. Face A, face B. 11 morceaux. 49 minutes et 16 secondes en apesanteur. Un dernier verre de Merlot. L’allumette craquée illumine son visage fatigué. Mais, bon sang, qui sont les Mysterons ?

JV

 

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