Il en va ainsi : la trajectoire des génies n’est pas toujours rectiligne. Peter Perrett (dont nous vous avions parlé ICI) et Dan Treacy du groupe de pop rock londonien Television Personalities en sont deux notoires illustrations.

Les anti-footeux me pardonneront par avance cette métaphore musico-footballistique. Au sein du catalogue du mythique label Rough Trade, TVP’s est aux Smiths ce que Garrincha est au roi Pelé au sein de l’équipe du Brésil de 1958 et 1962 : des génies créatifs dont le talent devait à l’évidence les porter dans la lumière mais qui sont injustement restés dans l’ombre.

Le devoir de réhabilitation est alors rétrospectivement nécessaire. Car ne vous y trompez pas : TVP’s est un groupe majeur des années 80 et 90, qui a influencé The Jesus And Mary Chain, The Pastels, Pavement, My Bloody Valentine, MGMT (qui lui rendront hommage sur ‘’Song for Dan Treacy’’) ou encore Nirvana (Kurt Cobain les sollicitera en 1991 pour qu’ils assurent la 1ère partie de leur premier concert londonien).

Bien que TVP’s ait été fondé en 1978, Dan Treacy n’est pas tant influencé par le mouvement punk (qu’il traitera de manière satirique dans “Posing at the Roundhouse”, “Part Time Punks” et “Happy Families”) que par le psychédélisme du milieu des sixties, The Creation, The Who et Syd Barrett, le génie fondateur de Pink Floyd.

Avec ses mélodies excentriques et ciselées, ses textes alternativement caustiques, drôles, sentimentaux, mélancoliques, dépressifs et émouvants, et sa voix pleine d’aplomb, parfois si fragile et enfantine, Dan Treacy est l’un des musiciens et songwriters les plus doués de l’histoire du rock

Dans l’abondante discographie du groupe, nous ne saurions trop vous recommander de (ré)écouter ‘’The Painted Word’’ (1985), chef-d’œuvre absolu, introspectif et sombre, avec la perle ‘’Stop And Smell The Roses’’, le très pop ‘’Privilege’’ (1990), l’ambitieux et disparate ‘’Closer to God’’ (1992) et le très noir ‘’I Was A Mod Before You Was A Mod’’ (1996).

Après un ultime concert en mai 1996, Dan Treacy, accro aux drogues dures et dépressif, disparaît des écrans radars entre 1998 et 2004. Un temps SDF, il est incarcéré dans une péniche prison suite à une condamnation pour vol à l’étalage commis pour payer sa consommation de drogue.

Après un retour en 2004, il enregistre trois nouveaux albums, ‘’My Dark Places’’ (2006), ‘’Are We Nearly There Yet?’’ (2007) et ‘’A Memory Is Better Than Nothing’’ (2010).

En 2011, à la suite d’une agression pour une histoire de drogue, Treacy subit une grave opération cérébrale, qui altère encore aujourd’hui ses capacités motrices et intellectuelles, et enlève quasiment tout espoir de le revoir jouer un jour de la musique.

Dans ce contexte, la sortie le 26 janvier 2018 de ‘’Beautiful Despair’’ suscite une curiosité immense.

Cover Beautiful Despair by Television Personalities

On ne sait si les 15 morceaux de l’album, enregistrés en 1989/1990 sur un quatre pistes par Dan Treacy (chant, guitare électrique 6 et 12 cordes) et Jowe Head (alors bassiste du groupe, assurant guitares électriques, guitare acoustique, basse, cithare et synthé) dans l’appartement de ce dernier à Stoke Newington, étaient ou non originellement destinés à figurer sur un seul et même album. Ce que l’on sait, c’est que Treacy, alors très prolifique, souhaita les enregistrer d’un trait.

Y figurent trois inédits : ‘’I Like That In A Girl’’ (pop noisy), basée sur une conversation que Treacy eût avec Lawrence Hayward (Felt, Denim), ‘’If You Fly Too High’’, écrite à propos d’une rencontre avec Evan Dando (The Lemonheads) à Berlin en décembre 1989 et ‘’Beautiful Despair’’.

‘’How Does It Feel to Be Loved’’, la dansante ‘’Love Is A Four-Letter Word’’ (qui sera publiée en 1992 sous le titre ‘’Love is better than war’’) et ‘’I Suppose You Think It’s Funny’’ sont de belle facture.

On redécouvre 28 ans après, grâce à ces enregistrements ‘’maison’’ en mode lo-fi, trésors miraculeusement surgis de sa malle à mélodies, l’incroyable inventivité du génie Treacy.

Un peu comme si l’on revisionnait les dribbles chaloupés de Garrincha, autre artiste génial, essentiel et désespéré.

Alechinsky.

Discographie (albums) : And Don’t the KidsJust Love It (1981) – Mummy your Not Watching Me (1982) – They Could Have Been Bigger Than the Beatles (1982) – The Painted Word (1985) – Camping in France (live, 1991) – Privilege (1990) – Closer to God (1992) – I Was A Mod Before You Was A Mod (1996) – Don’t Cry Baby, It’s Only a Movie (1998) – My Dark Places (2006) – Are We Nearly There Yet? (2007) – A Memory Is Better Than Nothing (2010)

 

 

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