D’autant que je me souvienne le seul véritable contact avec un pélican fût un voyage à Cuba, où pour quelques pesos, vous pouviez lancer du poisson dans la gueule en forme d’épuisette du Pélican, habile oiseau piscivore.
Jamais encore la figure du Pélican n’eut été employé à définir un univers poétique, ni même à caractériser une émotion.
https://pelicannoirmusic.bandcamp.com/releases
Et pourtant, cet animal selon Umberto Eco dans Art et Beauté dans l’esthétique médiévale, serait :
« Une fois admise l’information traditionnelle qui veut que le pélican nourrisse ses petits en arrachant avec son bec des morceaux de chair de sa poitrine, celui-ci devient le symbole du Christ qui offre son sang pour le salut de l’humanité »
De pélican piscivore tranquille sur son rocher, il devient figure christique.
Pélican Noir utilise donc cette figure gothique pour nous proposer une musique poétique et synthétisée pour notre plus grand plaisir.
Le pélican est un oiseau devenu noir, cet animal au destin plutôt heureux, devient ici un groupe pop à la noirceur punk, appelez ça darkpop ou darkwave c’est l’intention qui compte disait l’adage.
Il y a du synthé revenu à la sauce 80, et une basse très groovy pour faire simple
Duo habilement mené par une actrice déjà vu dans le clip de Pêrl https://youtu.be/Ani0hA8i8hk
Et ici chanteuse a la filiation directe de Catherine Ringer, dans le phrasé et dans la musicalité, le projet est enrobé avec un bassiste dont les épaules aussi larges qu’ un ferry, endosse le rôle subtile d’ambianceur avec son groove Berlinois des années Kraftwerk.
Oui messieurs dames les filiations sont légion, ce groupe qui manie synthé et basse est un héritage de Kraftwerk et aussi à toute cette pop qui peuplait la France dans les années 80, du meilleur comme du pire.
Et ce n’est pas tout, maquillés comme des black métalleux sioux prêts à commettre un sacrifice, le gothique s’invite dans leur parade nuptiale et scénique.
C’est dark, c’est new wave, c’est théâtral dans la grande tradition des divas qui ont des choses à dire.
Leur EP « Bas les masques », commence avec le Mépris, une ode indochinnienne pleine de sens pour le mépris, ce sentiment si particulier
Leur « single » l’ivresse, visible sur l’internet révèle ce qu’on pensait déjà, ce duo est musical mais surtout visuel, hommage minimaliste aux 80’s et aux effets pas très spéciaux.
Parfois la nuit, chanson entrainante comme dans un train fantôme lâché à pleine vitesse dans la nuit, une nuit traversée de lumière fulgurante, pour danser un verre à la main et se déhancher.
Héliogabale, texte mi parlé chanté, réveille cette furieuse poésie dont Pélican Noir a le savoir.
Duo étonnant, Pélican noir doit se déguster sur scène pour entrevoir encore plus cet aspect poético burlesque.
Et ça tombe bien car ils seront le 04 novembre à l’Eurydice à Paris
A la frontière des genres, Berlinois par son approche, austère et gothiquement minimaliste, ce duo apporte une fraicheur bienvenue dans cet océan de tendance soi disante pop.
PY
ET VOICI DONC l’INTERVIEW DU PELICAN NOIR AVEC LE DUO Claire ET Pier
je les remercie du temps accordé à mes questions:
Qui se cache derrière les masques ?
» Salut Pierre-Yves, merci beaucoup pour cette interview. Moi c’est Claire. J’ai rencontré Pier à une soirée. On a joué ensemble. Et PAF, ça a fait Pélican Noir.
Ensuite, on a rencontré l’homme mime, Raphaël, qui est batteur, prof de swing et scénariste et qui nous a accompagnés pour la création rythmique. Il n’est pas là pour répondre avec nous, mais on en profite pour l’embrasser bien fort. »
Dans quelle mesure la poésie vous aide dans votre conception du groupe ?
Pier : La poésie à une place importante dans nos compositions, la musique n’est qu’un accompagnement pour magnifier les textes de Claire.
Claire : Pour moi, la poésie est absolument présente tant dans les textes que dans notre approche esthétique et visuelle. La poésie, c’est lorsqu’une image vient te surprendre et te touche d’une façon toute nouvelle. Quand tu te sens vraiment libre de proposer une émotion, une idée, et que tu parviens à la transmettre à travers une association qui n’existait pas encore. Ce peut être une association de mots, de notes, d’images. Et je pense que ça demande aussi un petit effort d’écoute, de décentrement de la part du spectateur qui doit, pendant un moment, accepter de ne pas savoir très bien ce qu’il regarde/écoute pour être touché. Clairement, il faut aussi aimer la poésie pour entrer dans notre univers !
Vous êtes plus proche de Kiss ou d’un groupe de black métal norvégien ?
Pier : Plus proche d’un groupe de black metal norvégien bien sûr. J’adore le headbang et je préfère écouter Meshuggah plutôt que boire du coca et regarder Kiss au Superbowl
Claire : Mmh, au niveau de notre musique, sûrement Kiss car on a un côté très mainstream et pas du tout métal. Mais au niveau du cœur, complètement Black Metal norvégien ! J’aime quand ça sature et quand ça prend toute la place. Et je pense que si tu tends l’oreille dans nos chansons, tu vas entendre cette influence-là, dans la façon de tenir les nappes des claviers et d’avoir tendance à mettre plein de couches. Bon, dans les textes, c’est assez clair aussi. On a des thèmes plutôt sombres et tragiques. D’ailleurs, une de nos dernières compositions, » Danse des Corches « , qui n’est pas sur l’EP et qu’on fait en concert, est dans un esprit beaucoup plus black métal avec du chant saturé. Enfin… la version black métal de Pélican Noir. C’est à dire que ça reste quand même exubérant !
Est-ce des plumes de pélican que vous avez dans les cheveux ?
Claire : Presque. C’est un mélange entre des plumes artificielles d’un bleu pétant d’un magasin de farces et attrapes, et des plumes d’oiseaux trouvées dans l’enceinte en ruine d’une église à Larchant, près de Fontainebleau. C’était il y a quelques années. Je faisais un stage de Butô auprès de Céline Angèle et Jean-Daniel Fricker dans ce village ( lien http://www.jeandanielfricker.com/p/blog-page.html ) . Et chaque soir, j’allais vérifier si de nouvelles plumes avaient été abandonnées par les oiseaux… Donc entre le kitsch et le rituel, l’artificiel et l’animiste. On peut dire que sont de vraies plumes de Pélican Noir !
Ce n’est pas facile de mettre en musique de la poésie comment a été l’approche musicale des paroles ? Avez-vous dû faire des sacrifices dans les mots et rythmiques ?
Pier : « Avez-vous fait des sacrifices sur les claviers ? » Hahahhahhahaa oui
Claire : Oui, j’avoue que j’ai tendance à craquer un peu sur les claviers. Pier me recadre. Ça fait du sang et des larmes. Bon, on est dans une approche encore un peu expérimentale pour trouver le bon équilibre entre le texte et la musique. Au début, j’avais plus de texte et même du texte parlé mais j’ai coupé pour rendre le tout plus musical. C’est vrai que certaines de mes influences, comme Juliette Noureddine ou Clara Ysé ne vont pas du tout aller vers une instrumentation pop comme la notre. Et pourtant, j’adore l’italo-disco et beaucoup de chansons très kitsch des années 1980. Je crois que ça m’amuse de chercher comment tout ça peut communiquer. Faire une chanson dansante sur la mort, la difficulté à vivre, la joie. Parce que finalement, tout ça se dissout dans des paillettes ! Et c’est aussi ça, l’essence du disco ! Pour ça, je pense que la musique la plus manifeste est » Parfois la Nuit » sur laquelle on voulait vraiment un couplet sourd, et un refrain Eurodance.
Comment composez-vous ? paroles d’abord ? la basse entre t elle aussi dans la composition ?
Pier : Claire apporte des idées de paroles et nous développons ensuite la couleur musicale d’abord à la basse puis aux claviers
Claire : L’essence de Pélican Noir, c’est la basse de Pier et ma voix. Donc au début de chaque composition on se retrouve, on improvise. Rapidement, comme j’ai pas mal de textes de côté, je vais piocher celui qui me semble le plus adéquat avec la musique pour commencer à construire la pâte. De plus en plus, j’essaie de faire intervenir le texte le plus tard possible pour me concentrer sur la musique. Dans la suite de nos compositions, je pense que je vais accentuer ce processus-là.
Pourquoi écrire sur Heliogabale ?
Pier : Qui est Heliogabale ? Moi, je ne fais que jouer de la basse.
Claire : Bon, ça va être une réponse un peu longue… Pour cette chanson » Heliogabale « , je suis partie des Quatrains d’Omar Khayyam, qui est un poète, mathématicien et astronome perse du 11è-2è siècle. En fait, il a carrément lancé un style littéraire : de courts poèmes qui invitent à célébrer la vie tant qu’elle est là car la mort n’est jamais loin. Pour lui, les coupes qui contiennent le vin de l’ivresse sont faites de terre, la matière dont l’on vient et à laquelle on retourne. Donc c’était déjà ça, la couleur » Aladin » et l’orient complètement fantasmé. Ensuite, Heliogabale était empereur romain d’Orient vers 220 après J.-C. La petite histoire, c’est que lorsqu’il est venu à Rome, en pleine mégalomanie du type » je suis empereur, je suis fils du soleil, Dieu incarné sur terre » il n’aurait rien trouvé de mieux à faire que d’entrer dans la ville sur un char plein de femmes nues, dans une scène complètement délirante. Ca a été rapportée par ses détracteurs donc ce n’est pas forcément fiable, mais il y a des représentations de lui, le sexe en érection, sur un char tiré par des femmes nues… Bref. Se considérant plus divin qu’humain, il lui a semblé ensuite logique de s’unir à la vestale Aquila Severa pour que naissent » des enfants divins « . Le souci c’est que les vestales avaient obligation de virginité… et qu’en plus il était manifestement plus intéressé par les hommes que par les femmes. Aujourd’hui, Heliogabale est une figure assez marquante pour les questions d’identité de genre et de queerness. (source : http://www.racontemoilhistoire.com/2019/07/heliogabale-lempereur-premiere-drag-queen-lhistoire/ )
Pour moi, c’est la figure de la folie, de la démesure et de la décadence, cette chose brûlée par le soleil qui arrive et suscite le chaos. La quintessence de l’Orient fantasmé, que je peux me permettre de convoquer sans verser dans l’orientalisme qui sexualise les femmes et qui, lui, est très problématique comme l’a montré Edward Saïd. (source : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Orientalisme)
Etes vous nostalgique de l’empire romain ?
Pier : Vestimentairement parlant c’était compliqué je ne suis pas très fan des toges.
Claire : Alors bof. Si j’étais née femme dans l’Empire Romain, ça n’aurait pas été super fun. Pas d’accès aux connaissances, un rôle reproducteur et une absence de droits. Une mythologie sexiste. J’aurais préféré naître en Gaule à la même époque !
Quel aurait pu être votre destin à cette époque ?
Pier : J’y aurais été gladiateur. Mais contrairement à Russel Crow je pense que je ne serais pas mort dans Gladiator et j’aurais créé un club techno pour les afters jeux du cirque. Ambiance Berghain romain.
Claire : Si j’étais née dans une famille aisée, je serais devenue vestale vu que ça aurait été le seul statut qui m’aurait permis de ne pas être sous la tutelle d’un homme. Ça n’aurait probablement pas été drôle et j’aurais d’ailleurs risqué d’être épousée par Héliogabale ! J’espère que je serais surtout partie loin vers le Nord, pour rejoindre des sociétés plus égalitaires… Sinon, je serais devenue performeuse et chanteuse dans le club techno créé par Petrus, l’ancien gladiateur.
crédits Anais Novembre pour la photo de L’EP « bas les masques »