Le général Bourgeaud, l’œil vif et les idées claires, bien que placardisé au fond de sa caserne, tripotant sans cesse un cigarillo dont il caresse songeusement la cape, prépare un coup que le lecteur suppose d’ampleur mais dont il ne saura rien avant un long moment. A ses côtés, indéfectible collaborateur, habile dénicheur de profil ad hoc et seul confident des ambitions dudit général, œuvre Paul Objat, polymorphe acolyte et homme de main, son statut réel demeurant flou jusqu’au bout.

Entre alors en scène une hétéroclite panoplie de personnages, plus ou moins nets, au présent comme au passé, qu’on ne prend jamais tout à fait au sérieux. Surtout lorsqu’il s’agit de menaces dont la possible exécution semble inenvisageable, mais auxquels on s’attache tant ils sont vulnérables, criblés de faiblesses et de contentieux. Quelque soit le camp où ils se trouvent ou se retrouveront, la frontière se révèlera poreuse. Au cœur de l’intrigue, une certaine Constance, la plus inconsistante de tous mais aussi la plus fédératrice, joue le noyau d’attraction de tous ces électrons un peu trop libres.

EchenozPetit théâtre de manipulations en sous-main, association de malfaiteurs pour raison d’État, Envoyée spéciale voit s’échanger les rôles, s’entrelacer les histoires individuelles. Et quoiqu’on en dise, la raison du cœur y a parfois sa part et sa partition à jouer.

On ne saurait vous inciter à plonger dans cette aventure rocambolesque – surtout pour la partie la moins recommandable de la biographie de Rocambole – sans évoquer le narrateur. Un narrateur sciemment omniscient, qui se revendique ouvertement comme tel et qui, régulièrement, avoue son ignorance, perd la trace de ses personnages ou a contrario dévoile sur le ton journalistique de la confidence l’envers du décor. Une omniprésence qui fait de l’auteur un personnage à part entière.

Dans une écriture négligemment ciselée, un humour volontairement décalé, Jean Echenoz cultive le flou artistique, la périphrase goguenarde, et nous livre un roman qui aurait pu se contenter de n’être qu’une triviale histoire d’espionnage mais où les personnages, décidément, n’en font qu’à leur tête.

Difficile de vous en dire (un peu) plus sans vous en dire (trop) long… à bon entendeur, salut !

 

Maud D., liber espionne

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